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Détermination paisible

München
Philharmonie im Gasteig
12/19/2019 -  et 20*, 21 décembre 2019
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 39 en mi bémol majeur, K. 543 – Messe n° 16 en ut mineur, K. 427 [Complétée par Helmut Eder]
Christina Landshamer (soprano 1), Tara Erraught (soprano 2), Robin Tritschler (ténor), Jóhann Kristinsson (basse)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Yuval Weinberg (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Herbert Blomstedt (direction)


H. Blomstedt (© Astrid Ackermann)


Le décès de Mariss Jansons, dans la nuit du 1er décembre 2019, a été un choc brutal pour le fidèle public de ce chef extraordinaire, mais plus encore pour les grands orchestres qu’il dirigeait régulièrement. Mariss Jansons était assurément à notre époque le plus attachant représentant de cette rare catégorie de musiciens aussi prodigieusement doués que d’une humeur égale, qui savait toujours mettre immédiatement ses interlocuteurs à l’aise, que ce soit sur scène ou dans la vie courante. Ses collaborateurs l’adoraient, et particulièrement ici, à Munich, où la complicité qui l’unissait avec l’Orchestre et le Chœurs de la Radio bavaroise avait eu le temps de largement se consolider pendant un très long mandat de dix-sept années, vie commune au plus haut niveau, prévue pour durer théoriquement jusqu’en 2024. Il nous en reste heureusement de nombreux enregistrements publics, riche catalogue de CD publié directement par la Bayerischer Rundfunk, et puis bien sûr tant de souvenirs, dont la simple remémoration ravive immédiatement la plaie, avec une pensée toute particulière pour l’un des derniers concerts du maître, déjà très affaibli, en octobre dernier, soirée qui pourrait bien nous rester en mémoire comme l’un des plus extraordinaires moments musicaux d’une vie. Peut-être était-ce là pour tous la plus terrible épreuve, ont raconté des membres de l’orchestre: voir leur « patron » lentement mais inexorablement décliner, en tentant cependant d’aller encore jusqu’au bout de ses forces. Cela dit, et toujours selon leurs propres termes, l’inactivité d’une retraite prolongée aurait sans doute été encore bien pire, pour cet artiste passionné. Voilà en tout cas pour l’ambiance munichoise du moment, qui a décidément bien dû mal à se rasséréner sous le masque d’une « show must go on » attitude de façade.


Dans ce contexte douloureux, le patriarche Herbert Blomstedt, annoncé de longue date pour ce concert Mozart, paraît l’homme idéal pour apporter un peu de baume au cœur : démarche dépourvue d’hésitation, auréole distinguée de cheveux blancs, allure affable, présence bienveillante face à un orchestre empreint d’un évident respect... Dès l’entrée d’un tel symbole d’humanisme vivant, on pressent qu’il va se passer là des moments d’une ferveur particulière. Et déjà dans la Trente-neuvième Symphonie de Mozart, notoirement l’une de ses spécialités, Blomstedt place la barre très haut. Avec un orchestre d’une telle carrure, il n’y pas de contingences techniques à gérer. Ne restent que des détails d’interprétation à mettre en place, raffinement qui va très loin mais ne semble jamais centralisé depuis le podium, au contraire confié en quelque sorte à l’initiative de chacun. Comme si le chef se contentait de suggérer, définir un cadre et des priorités, et ensuite laissait avant tout les musiciens évoluer de leur propre initiative au sein de ce bornage. Et le résultat est merveilleux, de vie intérieure, d’aération voire de légèreté. Un Mozart intemporel et en même temps jamais trop nourri ni d’ailleurs inutilement agité. Visuellement aussi, l’absence de surenchère est appréciable, le chef paraissant constamment engagé, mais surtout pour correctement gérer les flux, relancer l’avancée voire modeler le son. Une évidence qui se passe de tout autre commentaire.


L’intensité augmente après l’entracte, avec la Messe en ut mineur de Mozart, là encore une œuvre que Blomstedt affectionne, même s’il l’a moins souvent dirigée ces dernières années. Dispositif plus lourd, avec quelques particularités, dont l’orgue juste en face du chef et une répartition « spatialisée » des trombones de part et d’autre du chœur, ici celui de la Radio bavaroise, à la flatteuse réputation. Un effectif moyen d’une cinquantaine de voix, toujours d’une tenue en scène particulièrement rigoureuse, y compris, entre certains mouvements, la circulation parfaitement organisée sur le podium afin de se redéployer en fonction des configurations requises : simple chœur ou occasionnellement double chœur (Qui tollis et Sanctus). Là encore Blomstedt dirige mais ne semble rien imposer, laissant simplement musiciens et chanteurs donner le meilleur d’eux-mêmes. Et le résultat prend idéalement forme, jusqu’à quelques sommets, dont un monumental Qui tollis, d’une intensité vibrante, où le Chœur de la Radio bavaroise nous fait vivre une somptueuse confrontation avec un véritable orgue humain. A ces moments-là, en écoutant aussi les scansions formidables de l’orchestre, comme des lames de fond, on retrouve clairement l’immense brucknérien qu’est Blomstedt, d’une intensité démiurgique d’autant plus fascinante qu’en apparence aucun de ses gestes ne trahit de nervosité particulière. Simplement une tension inexorable, invitation à la communion musicale qui ébranlerait même l’agnostique le plus convaincu.


On sait que la Messe en ut mineur de Mozart est restée inachevée : Kyrie et Gloria complets, Sanctus et Benedictus connus seulement grâce à une copie d’époque bourrée de fautes, quasiment rien de l’Agnus dei, Credo resté fragmentaire avec seulement l’essentiel du chœur d’entrée et de l’Incarnatus est, où seules la merveilleuse ligne vocale et celles des trois instruments obligés ont été notées par Mozart en plus de la basse. On sait aussi que les tentatives de reconstitution musicologique ont été nombreuses et de plus en plus audacieuses, mais Blomstedt reste fidèle ici au travail du compositeur autrichien Helmut Eder (disparu en 2005, après une carrière brillante dont nous avons à peu près déjà tout oublié, et pourtant : sept opéras, sept symphonies...). La restitution d’Eder, parcimonieuse, se contente de combler les vides là où c’est nécessaire et ne rajoute rien de spéculatif. Une version à connaître en particulier pour l’Et incarnatus est, qui sonne très bien, avec des cordes joliment distribuées et les intéressantes couleurs supplémentaires apportées par deux cors.


Pour ce moment de grâce, Blomstedt a eu l’idée d’inviter les trois instrumentistes « obligés » à côté de Christina Landshamer, en les faisant momentanément sortir du rang. Si la soprano munichoise, qui chante fort joliment mais avec des moyens relativement menus, disposait de suffisamment d’ampleur pour tenir tête à ces trois partenaires de luxe, on obtiendrait là un quatuor très séduisant, mais force est de constater qu’avec des instrumentistes de l’envergure de Marco Postinghel au basson, Henrik Wiese à la flûte et l’époustouflant Stefan Schilli au hautbois, la sublime ligne vocale s’en trouve presque marginalisée. Déséquilibre aussi entre les deux sopranos, puisque Tara Erraught, en troupe au Bayerische Staatsoper, remplace au pied levé Anna Lucia Richter, souffrante, avec une voix d’opéra franche et un peu fruste qui fait paraître sa partenaire encore plus exiguë de chant. Dommage que l’on bute maintenant partout sur la même difficulté à distribuer les grands emplois mozartiens à des voix lyriques dignes de ce nom, problème d’adéquation que l’on pouvait déjà déplorer la veille à Strasbourg. A défaut, il faut se rabattre sur de jolis succédanés. Très peu de musique à chanter pour le ténor et la basse dans cette version, et enfin une dernière démonstration de chant impeccable du chœur, dans le final fugué du Benedictus.


Très beau silence d’une salle recueillie, qui laisse lentement retomber l’émotion, avant les premiers applaudissements et une standing ovation pour Herbert Blomstedt.



Laurent Barthel

 

 

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