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L’«outre-noir» selon Pascal Dusapin

Paris
Auditorium du Louvre
01/10/2020 -  
Pascal Dusapin: Piano works: Pièce n° 1: «Did it again», Pièce n° 2: «Next piece» (création) & Pièce n° 3: «Black Letters» (création) – Iota – For Magnus – Invece – Slackline
Anssi Karttunen (violoncelle), Nicolas Hodges (piano)


A. Karttunen (© Irmeli Jung)


«Les toiles de Soulages sont mono-pigmentaires, pas monochromes (les zones sombres deviennent claires selon les points de vue), et ne donnent leur pleine mesure qu’en étant offertes au présent du regard, à la luminosité du moment», écrivait Pierre Encrevé, co-commissaire de l’exposition Soulages qui se tient en ce moment au Musée du Louvre. C’est par son entremise que le compositeur Pascal Dusapin (né en 1955) fit la connaissance du maître de l’«outre-noir». Pierre Encrevé nous ayant quittés en février dernier, ce concert pour piano et/ou violoncelle lui est dédié.

Pièce la plus ancienne du programme, Invece (1992) pour violoncelle seul revêt un caractère obsessionnel. Anssi Karttunen allie ferveur et concentration du geste en sondant les graves de son instrument à l’aide du talon de l’archet. Le son gras et la rudesse de l’ostinato ne sont pas sans rappeler le style radical de Iannis Xenakis, dont Dusapin fut l’élève. Plus rhapsodique, Iota – 50 notes en 3 Variations «sur un thème de Giuseppe Colombi» (2010) se déroule à la manière d’une méditation interrogative ponctuée de pizzicatos. Le climat introspectif, qui renoue avec certaines sarabandes de Bach, bénéficie de l’interprétation très incarnée du violoncelliste finlandais.


On n’en dira pas autant du pianiste Nicolas Hodges, techniquement en difficulté (trous dans les notes répétées, main droite fragile dans les déplacements). A sa décharge, il faut reconnaître que les trois Piano Works ne le ménagent guère: la Pièce n° 1: «Did it again» (2016), axée sur les résonances et les subtils étagements de sonorités, cède la place à un jeu tout en soubresauts, avec de furtifs croisements de mains. Puis d’étranges accords, confinés dans le même espace, trouvent un prolongement évanescent dans les aigus par touches d’octaves arpégées. La Pièce n° 2: «Next piece» voit le triomphe des notes répétées, qu’elle inflige aux deux mains dans la seconde partie. Mais la pièce la plus ouvertement virtuose, également donnée en création mondiale, est l’ultime Black Letters, commande conjointe du Musée du Louvre et du Concours international de piano d’Orléans. Qui sait si Pascal Dusapin a songé un temps à utiliser les seules touches noires du clavier...: la gamme pentatonique offrait sans doute un champ compositionnel à la fois trop limité dans sa combinatoire, et trop connoté historiquement. Il opte pour un cortège d’accords à la frappe de médaille (les «lettres noires»?), d’où émerge difficilement le chant du soprano. La musique croît en densité et en âpreté à mesure que l’échelle dynamique empile les forte; une variation d’éclairage sur la noirceur du matériau à l’instar des peintures relevant de l’«outre-noir»? Il appartient à de suaves sonorités de cloche dans l’aigu de conclure sur la pointe des pieds cette œuvre appelée à succéder à Au cœur de l’oblique d’Hèctor Parra lors du quatorzième Concours de piano d’Orléans.


Si les pièces pour piano sont des études qui ne disent pas leur nom, Slackline (2015, dédié à Anssi Karttunen) cache une sonate pour violoncelle et piano. L’écriture contrastée favorise la dimension rythmique dans les mouvements pairs (toccata rapide, syncopes) et lyrique dans les mouvements impairs, encore que le violoncelle, riche en doubles cordes dans le premier mouvement, privilégie dans le fantomatique troisième un chant à fleur d’archet, plus proche du murmure que de la déclamation. En conformité avec la signification du titre, Anssi Karttunen joue de son instrument comme un funambule progressant sur son fil.


Soulignons pour finir la belle acoustique de l’auditorium du Louvre, idéale pour ce répertoire chambriste.



Jérémie Bigorie

 

 

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