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Un Warlikowski de plus

Bruxelles
La Monnaie
10/12/2019 -  et 12, 14, 17, 19, 20, 22, 27, 29*, 31 décembre 2019, 2 janvier 2020
Jacques Offenbach: Les Contes d’Hoffmann
Eric Cutler*/Enea Scala (Hoffmann), Patricia Petibon*/Nicole Chevalier (Olympia, Antonia, Giulietta, Stella), Michèle Losier (Nicklausse, La Muse), Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la tombe), Gábor Bretz (Lindorf, Coppélius, Le docteur Miracle, Dapertutto), François Piolino (Spalanzani, Nathanaël), Willard White (Luther, Crespel), Loïc Félix (Frantz, Andrès, Cochenille, Pitichinaccio), Yoann Dubruque (Schlémil, Herrmann), Alejandro Fonte (Wolfram), Lee Byoungjin (Wilhelm)
Académie des Chœurs de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani, Alberto Moro (chefs de chœur), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczęsniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Claude Bardouil (chorégraphie)


(© Bernd Uhlig)


Au menu des fêtes de fin d’année à la Monnaie? Offenbach, pour le bicentenaire de sa naissance. En lisant le nom du metteur en scène dans la brochure de la saison, nombre d’habitués ont dû probablement éprouver quelque crainte ou souffler de lassitude. Fidèle à son art, Krzysztof Warlikowski transpose Les Contes d’Hoffmann (1881) dans le milieu du cinéma hollywoodien des années 1970, en prenant, comme référence principale, A Star is Born de Cukor, et en disséminant dans ce spectacle plusieurs clins d’œil à des films célèbres: voici, donc, Hoffmann en réalisateur porté sur la boisson et Stella en étoile montante. L’idée se défend, et le metteur en scène la concrétise avec suffisamment d’habilité pour la rendre cohérente, mais ses mises en scène de ce dernier ne comptent pas parmi ceux que les spectateurs saluent à l’unanimité, pour autant qu’il en existe, et celle-ci ne fait sans doute pas exception à la règle. Malgré cette liberté par rapport au récit original, il n’y a rien de gratuitement provocateur dans cette proposition finalement peu audacieuse, en regard de ce qui se pratique désormais, mais l’ajout d’épisodes dialogués en anglais, avec sonorisation, avant même que la musique ne débute, provoque un peu d’agacement, et même du dépit – un simulacre de cérémonie des Oscars s’intercale, ainsi, au milieu du dernier acte. Le livret de Jules Barbier ne suffit manifestement pas.


A l’issue de la représentation de cet opéra qui n’avait plus été monté sur cette scène, selon les archives, depuis 1966, un constat s’impose: Krzysztof Warlikowski ne cherche même plus à se renouveler et à surprendre, et ce spectacle, par ses aspects visuels et sa dynamique théâtrale, représente, de manière presque caricaturale, tout ce qui se rattache à son univers, y compris le recours éculé à la vidéo, utilisée, par moments, en temps réel. Figurent donc, sur le plateau, un bar, un écran géant, des rangées de fauteuils, les mêmes que dans la salle, pour la mise en abyme, au moins un travesti ou encore des ballerines effectuant des pointes. Cette mise en scène, avouons-le, un peu ennuyeuse laisse une impression tenace de superficialité, malgré le professionnalisme de la réalisation – la direction d’acteur demeure, en effet, intense et précise. Et qui dit Warlikowski dit Malgorzata Szczęsniak, elle aussi fidèle, pour les décors et les costumes, à son esthétique, par le choix des couleurs et des matériaux.


Les chanteurs compensent, en partie seulement, notre frustration. Quel dommage que la distribution comporte des interprètes non francophones, alors qu’il existe actuellement un nombre important d’interprètes français – et belges francophones! – qui excellent dans ce répertoire. Eric Cutler accorde suffisamment d’attention à la diction, sans toutefois se défaire de son accent, et son incarnation n’accuse aucune faille, surtout théâtrale; avec Warlikowski, il importe, en effet, de faire appel à des interprètes capables de se surpasser dans le jeu d’acteur. Ce ténor au timbre séduisant dispense un chant soigné, sur le double plan de la projection et du phrasé, mais plus solide que raffiné. Il est vrai que dans cette mise en scène, Hoffmann n’offre pas l’image d’un être exquis.


Comédienne douée et engagée, Patricia Petibon incarne pour la première fois le quadruplé Olympia, Antonia, Giulietta et Stella, en caractérisant bien chacun de ces personnages, mais avec une performance vocale en dents de scie, trop dépourvue de précision et de tenue pour complètement nous séduire. En comparaison, Michèle Losier affiche nettement plus de netteté et de classe dans les rôles de Nicklausse et de la Muse qui ne forment qu’un, dans la conception de Warlikowski – en regard de sa forte présence, son Octavian annoncé sur cette scène en juin s’annonce prometteur. En Lindorf, Coppélius, Docteur Miracle et Dapertutto, Gábor Bretz convainc sans peine par sa prestance et sa voix sombre et bien conduite, malgré un accent plutôt prononcé. Le baryton accomplit des incarnations tout à fait estimables mais il faut se rappeler que cet opéra a été représenté au Cirque royal, par la Monnaie, en 1985: le grand José van Dam incarnait, à cette époque, tous ces rôles avec certainement plus d’élégance et de subtilité, encore, et surtout une meilleure prononciation.


Sur le plateau évoluent une valeur sûre, l’excellent François Piolino, distribué en Spalanzani et Nathanaël, ainsi qu’un vétéran toujours aussi impliqué, mais vocalement plus en retrait, Willard White, en Luther et Crespel. La contribution aboutie de Loïc Félix en Frantz, Andrès, Cochenille et Pitichinaccio constitue une heureuse découverte: apparaissant pour la première fois sur la scène bruxelloise, ce ténor au phrasé pur, également talentueux comédien, se voit promis à un bel avenir. La toujours aussi impressionnante Sylvie Brunet-Grupposo paraît, pour sa part, totalement sous-employée pour la voix de la tombe, en fait la mère d’Antonia.


Aucun problème, en revanche, dans la fosse, grâce à la compétence et l’inspiration d’Alain Altinoglu qui dirige une version assez longue de cet ouvrage, comme chacun sait, problématique, dans l’édition de Michael Kaye et Jean-Christophe Keck; presque quatre heures de spectacles, avec les deux entractes. Cette exécution de qualité constante et rigoureusement mise en place met en exergue la beauté et la finesse de l’écriture, tandis que l’orchestre se démarque par son jeu à la fois clair et expressif, ainsi que par ses sonorités contrastées et évocatrices. Les choristes, quant à eux, demeurent conforment à leur bonne réputation.


Alors que le chef-d’œuvre d’Offenbach le permettait, la Monnaie manque l’opportunité d’offrir à son public, qu’elle ne ménage pas toujours, un spectacle de fin d’année majeur, du genre de ceux dont chacun se souvient, avec émotion et nostalgie, dix, vingt, trente ans après.



Sébastien Foucart

 

 

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