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La paix n’est qu’un leurre

Geneva
Grand Théâtre
12/13/2019 -  et 15, 17, 19*, 21, 23, 27, 29 décembre 2019
Jean-Philippe Rameau : Les Indes galantes
Kristina Mkhitaryan (Hébé, Emilie, Zima), Roberta Mameli (Amour, Zaïre), Claire de Sévigné (Phani), Amina Edris (Fatime), Renato Dolcini (Bellone, Osman, Adario), Gianluca Buratto (Ali), Anicio Zorzi Giustiniani (Don Carlos, Damon), François Lis (Huascar, Don Alvaro), Cyril Auvity (Valère, Tacmas), Ballet du Grand Théâtre de Genève
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (direction du chœur), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Demis Volpi (chorégraphie), Heike Scheele (décors), Katharina Schlipf (costumes), Olaf Freese (lumières), Krystian Lada (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


Trois mois après une ouverture de saison lyrique à Paris qui a fait grand bruit, Les Indes galantes débarquent pour la toute première fois à Genève, avec le même chef et le même orchestre, mais dans une mise en scène et une distribution vocale entièrement différentes. Au Grand Théâtre, la réalisation scénique de l’opéra-ballet de Rameau a été confiée à l’Américaine Lydia Steier, que les mélomanes connaissent pour sa Flûte enchantée iconoclaste à Salzbourg à l’été 2018. L’action est transposée dans un théâtre à l’italienne ravagé par la guerre (superbe décor de Heike Scheele), un cadre qui sert de fil rouge aux quatre parties très différentes de l’ouvrage. Hébé, déesse de la jeunesse, a réuni autour d’elle un groupe d’hédonistes qui s’amusent et profitent des plaisirs de la vie coûte que coûte, malgré les violences et les batailles qui font rage au dehors. Mais c’est peine perdue car des soldats ne cessent de faire irruption dans la salle pour interrompre la fête et brutaliser les fêtards. Après la pause, le début de l’acte des Fleurs donne lieu à un superbe pas de deux exécuté devant un rideau représentant le plafond du foyer principal du Grand Théâtre ; c’est l’un des plus beaux moments du spectacle. L’espoir renaît lorsqu’oppresseurs et opprimés tombent dans les bras les uns des autres et font la paix dans l’espoir d’aboutir à une société nouvelle et pacifique. Mais la trêve ne sera que de courte durée car une déflagration violente retentit. Et, contrairement à la production parisienne, où le célèbre « Forêts paisibles » était entonné comme un chant de liesse, la danse du « Grand Calumet de la Paix » est interprétée ici « pianissimo », dans un « tempo » passablement alangui, alors que des flocons de neige tombent des cintres. On comprend que la guerre ne sera jamais terminée et que la paix n’est qu’un leurre. Cette dernière scène (la chaconne finale a été supprimée), particulièrement émouvante, restera comme l’un des temps forts d’un spectacle qui ne manque ni de cohérence ni d’intelligence, mais qui demeure figé sur une seule idée principale – la violence et la brutalité des oppresseurs (les Occidentaux ?) sur les opprimés (les peuples colonisés ?) – et finit par lasser quelque peu au fur et à mesure qu’avance la soirée.


Si, à Paris, les parties dansées faisaient la part belle au hip-pop et à la breakdance, à Genève, le Ballet du Grand Théâtre reste dans un registre beaucoup plus classique, quand bien même le chorégraphe Demis Volpi a réglé des interventions très sensuelles et lascives, que les danseurs exécutent à merveille. Et contrairement à Paris aussi, qui n’alignait que des chanteurs francophones, la distribution vocale réunie à Genève est cosmopolite, reflétant le caractère universel de l’ouvrage. Si Cyril Auvity (Valère, Tacmas) et François Lis (Huascar, Don Alvaro) sont les plus convaincants dans leurs personnages respectifs, qu’ils ont déjà interprétés tous les deux, les autres chanteurs – lesquels, eux, font leur début dans leur rôle – ne déméritent pas pour autant. On retient l’émouvante Phani de Claire de Sévigné et l’Amour virtuose et rayonnant de Roberta Mameli chez les dames, sans oublier Amina Edris en Fatime, qui éblouit dans le célèbre « Papillon inconstant», et Kristina Mkhitaryan, qui, avec ses trois rôles (Hébé, Emilie, Zima), est constamment sur scène. Les messieurs ne sont pas en reste, avec le ténor clair et lumineux d’Anicio Zorzi Giustiniani et les basses profondes et percutantes de Renato Dolcini et Gianluca Buratto, doublées de surcroît d’une très bonne diction française. Comme à son habitude, le Chœur du Grand Théâtre livre une remarquable prestation. A la tête de sa Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón n’a pas son pareil pour rendre vibrante et vivante la musique de Rameau, alternant force et douceur, vivacité et tendresse, calme et tempête. Pour le plus grand bonheur du public genevois, les voix et l’orchestre ne sont pas noyés comme ils l’étaient en septembre dans l’immense vaisseau de la Bastille.



Claudio Poloni

 

 

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