About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le Pirate, enfin

Madrid
Teatro Real
11/30/2019 -  et 1er, 3, 4, 6, 7, 9, 12, 14, 15, 16*, 17, 20 décembre 2019
Vincenzo Bellini: Il pirata
Sonya Yoncheva/Yolanda Auyanet/Maria Pia Piscitelli* (Imogene), Javier Camarena/Celso Albelo/Dmitry Korchak* (Gualtiero), George Petean/Simone Piazzola/Vladimir Stoyanov* (Ernesto), María Miró (Adele), Marin Yonchev (Itulbo), Felipe Bou (Goffredo)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Maurizio Benini (direction musicale)
Emilio Sagi (mise en scène), Daniel Bianco (décors), Pepa Ojanguren (costumes), Albert Faura (lumières), Yann-Loïc Lambert (vidéo)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Il est peut-être vrai que Le Pirate est le premier opéra romantique du répertoire italien. Du moins, c’est un ouvrage qui se situe à l’époque de l’essor romantique dans le domaine de l’opéra: l’opéra conservant la structure rossinienne avec un autre contenu dramatique mais aussi lyrique, et le grand opéra. Les dates: Le Pirate, La Scala, octobre 1817; La Muette de Portici, Salle Le Peletier, février 1828. Le Pirate déploie (modèle rossinien, divisé en deux actes) un chœur important au démarrage de l’action, et, plus tard, un ensemble avec tous les personnages (y compris le chœur, assurément) comme finale du premier acte, avec, dans les deux actes, les duos et trios plein de l’expression dramatique habituelle, et l’air-scène dramatique final de l’héroïne. Une séquence plus ou moins orthodoxe de la première moitié du XIXe siècle dans ce genre; le grand opéra est une toute autre chose.


Il y a des générations de lyricophiles, voire d’amoureux de Bellini, qui n’ont jamais vu Le Pirate – nous ne l’avons jamais vu, mais seulement entendu des enregistrements. On l’a expliqué par les difficultés vocales ou par le manque de maturité de cet opéra de jeunesse... mais chez Bellini, trot tôt disparu, tout est de jeunesse. Or, Bellini est là, et aussi le belcantisme tardif de Donizetti, voire Mercadante. Les phrases, le dessin des vocalises, l’allure du lyrisme, et pas mal de détails et petites ou grandes formes de l’opéra belcantiste, du mélodrame italien, sont déjà là. En entendant quelques introductions orchestrales du Pirate, on croit parfois qu’on entendra tout de suite un air de Norma, ou bien aussi un air de Lucia.


Six personnages et le chœur, très important en tant que personnage (plusieurs personnages), et surtout trois, le triangle, le trio. Un bel opéra, sauvé par des voix comme celles de Maria Callas ou Montserrat Caballé après l’oubli ou la négligence, si ce n’est purement et simplement la crainte. Et maintenant, le Teatro Real et La Scala de Milan produisent ce Pirate inattendu. Précisons que les représentations du Teatro Real ont été dédiées à la mémoire de Montserrat Caballé.


Tout le monde, tous les amoureux de l’opéra, aiment bien les divos, mais les distributions sont parfois divisées pour des artistes dont les valeurs sont indéniables mais mal connues. Le Teatro Real s’est permis trois distributions des trois premiers rôles pour la prouesse de cet opéra redoutable pour les voix principales. On n’a pas vu Camarena en Gualtiero, ni Yoncheva en Imogene. Il est vrai que Camarena vient souvent à Madrid, et il reviendra dans quelques semaines. Mais les distributions qui ne suscitent pas l’attention médiatique offrent très souvent des prestations d’un niveau élevé, sans les petites hystéries demandant des bis trop prévus. Et il faut être attentif aux voix qui alternent au fil des représentations, et au Teatro Real, on est rarement déçu.


Le couple vedette de notre distribution, Piscitelli et Korchak, a été à la hauteur du défi, tant du point de vue vocal que dramatique. On a vu Maria Pia Piscitelli en Imogene, un rôle terrible qu’elle gérait soigneusement, en préparant son air de bravoure final, mais elle est formidable, dramatique et lyrique, dans les deux effrayants duos avec Gualtiero et l’effrayant duo avec Ernesto, où la température monte un peu trop haut. Pour finir par une des scènes de folie typiques, quoique mal connue et aussi prophétique.


La belle couleur du ténor Dmitry Korchak accompagne les descentes et les montées permanentes de ce rôle parfois spectaculaire et souvent un peu insensé (insensé le personnage, insensé son destin, bien qu’étant une création de Felice Romani, un des plus grands librettistes de l’histoire): ce n’est pas la faute de Korchak ni des autres ténors, ce sont des incohérences du drame écrit. Korchak réussit à faire sortir le personnage de son cachot d’insensé pour remonter, avec un chant émouvant et techniquement impeccable, tout un héros du début d’une époque lyrico-dramatique, comme on l’a déjà vu. Son Gualtiero ressemble un peu à Manrico, mais après tout, son personnage a des affinités claires avec le personnage du Trouvère, engagé dans des luttes civiles saturées de haine, semblables à celles de la Sicile du Pirate.


A côté de ces deux voix, celle de Vladimir Stoyanov, voire son interprétation dramatique, reste pâle, discrète, d’un bon niveau, mais sans plus. Des trois rôles secondaires, il faudrait sauver María Miró (Adèle) mais laisser Yonchev et Bou (pour lequel, il y avait trop de graves impossibles).


La beauté de la mise en scène d’Emilio Sagi nous semble indiscutable, même si on elle a été discutée. L’imagination de Sagi montre ici qu’il est bien capable d’aller dans les recoins obscurs d’une histoire, loin de ses chères régions sévillanes de Figaro ou d’autres inspirations bouffes, voire d’opérette. Le contraste entre les scènes noires et les tableaux blancs met en évidence les deux mondes en conflit. Mais il profite de la collaboration décisive de Daniel Bianco pour la définition d’un espace scénique suggestif, sa touche sinistre, son idée tragique, le cadre de l’impératif impossible du héros. Les murs presque fixes côté cour et côté jardin, marquant un intérieur jamais trop clos, et le fond de scène, au-delà du cyclorama, suggérant la transition des saisons, sont marqués par des miroirs devenant des toits, des murs, réflexions imparfaites qui doublent les personnages, les scènes, un jeu de miroirs avec une mise en abyme permanente, une vrai trouvaille de la part de Bianco, accompagnée par le choix des costumes en blanc pur ou en noir marqués (sans autres nuances) d’une vague référence historique au XIXe siècle, toujours abstraite, soutenue par le complexe jeu de lumières d’Albert Faura et la vidéo de Yann-Loïc Lambert. Parfois, le reflet, incliné ou du haut de la scène, montre les costumes blancs des femmes de la cour comme des fleurs qui s’épanouissent. Il faut donc signaler la beauté tout aussi suggestive des costumes de Pepa Ojanguren. Le fond, à la fin, sert pour l’entrée du catafalque de l’époux toujours adversaire, un deuil double où un grand drap noir enveloppe l’héroïne pour son formidable finale (avec, au cœur de la scène, le moment de la deuxième exclamation «Il palco funesto», dont on connaît l’anecdote de Callas a La Scala). En somme, une véritable hallucination visuelle.


Comme d’habitude, le chœur, dirigé par Andrés Máspero, a brillé à un haut niveau dans ses dédoublements, dès le début de l’action même (le chœur regarde angoissé le naufrage, toute une inspiration, peut-être, pour le début de l’Otello de Verdi). Maurizio Benini a dominé le drame et la tragédie, et s’est adapté à l’exigeante direction d’acteurs d’Emilio Sagi. Diriger dèes la fosse des voix belcantistes est tout un défi pour des raisons compréhensibles qu’on ne peut pas développer ici: cela tient à l’équilibre entre le stress intérieur et l’apparente facilité extérieure des voix principales dans des opéras tel que celui-ci. Mais sans la direction, pas de drame. Et Benini a réussi, avec ces divos des trois distributions et un chœur insurpassable, à imposer le vieux Pirate de Bellini (malgré des coupures, hélas) comme une belle et émouvante tragédie fondatrice.


Il faut signaler que, presque au moment où cette production était créée en 2018 à la Scala, sans trop de succès, une mise en scène du Pirate, modeste mais en même temps un défi réussi, a été présentée en septembre 2018 au Palais de l’Opéra de La Corogne (avec Saioa Hernández, Yosep Kang, Juan Jesús Rodríguez, le Chœur Gaos et le Symphonique de Galice dirigés par Antonello Allemandi, dans une mise en scène de Xosé Manuel Rabón).



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com