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Une cathédrale en marche

Strasbourg
Palais de la Musique
12/12/2019 -  et 13* décembre 2019
Gustav Mahler : Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique »
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Josep Pons (direction)


J. Pons (© Gregory Massat)


« Ma Sixième Symphonie est achevée. - Et moi aussi ! » écrivait Mahler en septembre 1904, comme si l’élaboration quasi-éruptive de ce monument l’avait laissé sur le carreau, complètement épuisé. Et encore aujourd’hui, que ce soit pour les musiciens ou pour le public, cette Sixième Symphonie reste « une noix difficile à casser », toujours selon les dires du compositeur. Dans un cycle Mahler, ce sera forcément une étape déterminante, voire la plus difficile de toutes, car la masse symphonique y est d'un tel gigantisme qu’elle peut facilement basculer hors contrôle. A l’image de ce qui arrive ce soir au timbalier chargé des célèbres coups de marteau du finale : il frappe le premier au bon moment mais avec un tel volant d’inertie que l’énorme engin lui échappe des mains et dégringole sur le côté. Dans le même esprit, on se souvient d’un concert éprouvant au Festspielhaus de Baden-Baden il y a deux ans, où Simon Rattle, pourtant mahlérien chevronné, éprouvait de vraies difficultés à contrôler sa lourde machine berlinoise dans cette Sixième, au risque de tout écraser sur son passage.


Pour tenter l’expérience, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg a choisi de travailler sous la direction du Catalan Josep Pons, et il a eu amplement raison. Perçu d’un peu loin, ce chef peut sembler associé surtout à un répertoire spécifiquement ibérique, alors qu’il s’agit d’un passionné de musique post-romantique au sens le plus large, excellent spécialiste de Mahler, Bruckner, Schoenberg et Richard Strauss. Les aspects monumentaux de cette Sixième Symphonie ne semblent lui poser aucun problème, ou du moins sait-il les gérer en hiérarchisant bien les priorités, dont la plus essentielle semble de continuellement avancer. Pendant toute la symphonie, ses gestes sembleront essentiellement affairés à cela : relancer en permanence l’énergie, afin de ne pas laisser s’installer la moindre boursouflure. Et dans l’ensemble, ce refus de se laisser vampiriser par les émotions du moment fonctionne bien, aussi parce qu’en dépit de ce sentiment d’urgence implacablement entretenu à tous les étages, l’orchestre paraît en permanence sécurisé. Aucun accident de parcours, mais au contraire une remarquable cohésion, alors que notamment les cuivres, même en effectif pléthorique, sont très exposés.


Maintenant, pour davantage de détails, pour la finesse d’analyse, pour un certain pathos de circonstance aussi (le titre de « Symphonie tragique », cautionné puis finalement retiré par Mahler, reste quand même pertinent), il faudra repasser. Si l’on sent bien affleurer partout dans cette lecture une véritable modernité, juxtapositions de couleurs insolites et violents contrastes harmoniques, le discours n’est pas assez articulé ni aéré pour que puissent surgir de véritables images expressionnistes à même de stimuler l’imaginaire. Idyllique l’Andante ? Macabre le Scherzo ? A la fois perceptiblement oui, mais jamais d’une façon complètement prenante. On en reste à une relative abstraction monumentale, qui peut sembler parfois dissuasive, comme si l’orchestre nous assénait une succession de climax, certes tous impressionnants séparément, mais dont la juxtaposition finit par paraître d’une inexorabilité un peu lassante. Ce sont là sans doute les limites d’une mise en place effectuée en seulement quelques heures de travail, mais à un tel niveau de technicité que l’on aurait mauvaise grâce de se plaindre. Difficile de citer toutes les interventions instrumentales de haut niveau qui émergent d’un orchestre hautement concentré et concerné, mais impossible de laisser dans l’anonymat le timbre exceptionnel du cor d’Alban Beunache, ni les hautbois et clarinette agiles et incisifs de Samuel Retaillaud et Jérémy Oberdorf, et encore moins le généreux tuba de Micaël Cortone d’Amore. A noter aussi le grain particulier donné par quatre harpes, au lieu des deux usuellement prévues.


Toute la symphonie va s’écouler ainsi, d’un superbe événement orchestral au suivant : à la fois on est comblé et il nous manque toujours un peu plus de hauteur de vue et de sens de l’organisation. Impression encore accentuée par un Andante placé en seconde et non en troisième position, option qui continue à nous paraître délétère, parce qu’elle affaiblit les contrastes entre chacun des quatre mouvements. Discussion éternelle et sans issue, mais vraiment coupler le Scherzo à un Final déjà à lui seul de proportions démesurées ne nous paraît pas la solution ni la plus logique ni la plus digeste. En tout cas un concert à la fois « hénaurme » et globalement maîtrisé, beau résultat obtenu par un chef avec lequel il faut compter dans ce répertoire.



Laurent Barthel

 

 

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