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Une Cendrillon Art nouveau un brin désenchantée

Nancy
Opéra
12/15/2019 -  et 17, 19, 20, 22 décembre 2019
Jules Massenet : Cendrillon
Hélène Guilmette (Cendrillon), Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant), Doris Lamprecht (Madame de la Haltière), Marc Barrard (Pandolfe), Marlène Assayag (La fée), Judith Fa (Noémie), Anne-Sophie Vincent (Dorothée), Jean-Fernand Setti (Le Roi), Christophe Berry (Le doyen de la faculté), Thibault de Damas (Le surintendant des plaisirs), Jean-Christophe Fillol (Le Premier ministre)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, Jean-Marie Zeitouni (direction musicale)
David Hermann (mise en scène), Jean-Philippe Guilois (assistant à la mise en scène), Paul Zoller (décors, vidéos), Axel Aust (costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Jean-Louis Fernandez/Opéra national de Lorraine)


Cela fait plus de trois décennies que l’on n’avait plus joué Cendrillon à Nancy, et il est heureux que l’Opéra national de Lorraine participe à la redécouverte actuelle de Massenet. Après un long purgatoire, la plupart de ses œuvres les moins célèbres sortent peu à peu de l’oubli auquel les avait reléguées le succès jamais démenti de Manon et Werther. Au cours de la saison 2019-2020, Cendrillon est à l’affiche des opéras de Limoges et Nancy, la seconde maison ayant l’avantage d’une période de l’année propice à la féerie et au rêve, ainsi que d’une nouvelle production signée David Hermann.


Le metteur en scène allemand est bien connu des Nancéens pour avoir transposé de façon magistrale en 2012 l’action de L’Italienne à Alger de Rossini dans la carlingue d’un avion de ligne crashé en pleine jungle (production reprise en 2017 à Montpellier et en 2018 à Nancy). Moins iconoclaste que d’autres, Hermann cherche toujours un point de vue à la fois original et respectueux de l’histoire. Il profite de cette production nancéenne pour introduire des références à l’Ecole de Nancy, contemporaine de la création de l’œuvre. La première scène se joue sur le perron d’un bâtiment typique de Nancy avec porte ouvragée et balcon de style Art nouveau; le logis de Mme de la Haltière est tendu d’un papier peint vert d’eau aux motifs Art nouveau au centre duquel l’âtre, élément essentiel de l’œuvre, est lui aussi ouvragé dans le même style, et le metteur en scène transforme ensuite la lande du chêne enchanté en une structure de branches entrelacées typique de l’Ecole de Nancy. Mais son travail va au-delà de ces rapprochements somme toute anecdotiques.


D’une part, les vidéos de Paul Zoller permettent une grande fluidité dans l’utilisation des décors (le perron est projeté, comme d’autres décors) et la figuration des rêves de Cendrillon, dans les apparitions elfiques, et cela forme un point de convergence car le rêve est au cœur de l’histoire, puisque Cendrillon croit toujours avoir rêvé. Les follets, en revanche, et autres esprits, comme la Fée, sont ici des SDF, en guenilles et portant des sacs en plastique, l’habit merveilleux de Cendrillon sortant d’un chaudron fumant au centre d’un caddie. Cette idée permet d’éviter l’aspect factice du traitement habituel du merveilleux, mais a le défaut de décaler l’image de la misère de Cendrillon vers le monde des esprits, de sorte que celle qui devrait le plus nous émouvoir, en robe de laine noire et chaussures montantes d’ado, ressemble trop à Louane et n’émeut pas assez (la soprano étant blondie pour l’occasion). La convalescence de la fillette est justifiée par une tentative de suicide à l’aide du talon de la pantoufle de verre: cela nous fait perdre un peu de l’enchantement du conte.


Cependant il faut louer la virtuosité avec laquelle Hermann et son décorateur Paul Zoller utilisent les décors mobiles: la pièce de l’appartement de Mme de la Haltière, au cadre resserré, est étouffante, puis se scinde pour laisser la place aux esprits qui entourent l’âtre, enfin pivote et permet de créer avec le demi-mur de l’âtre face au public une séparation entre les amoureux dans la scène du chêne enchanté. Le décor du château royal, au papier peint strié de blanc et de doré, et formé en coin, se voit transpercé par un long podium doré où défilent les prétendantes, et le metteur en scène ose même dans le tableau final un décor double figurant à la fois l’appartement et le château. Quelques gags habilement troussés donnent au drame doux-amer un relief plaisant.


Soutenus par la direction délicate de coloriste offerte par Jean-Marie Zeitouni, à la dynamique admirablement contrôlée, la distribution entre avec efficacité dans le cadre défini par Hermann, avec des costumes modernes d’Axel Aust typés années 1950, surtout le Pandolfe falot joué par Marc Barrard, mal fagoté (ce qui le relie les gens «bien» aux SDF), brinquebalé par son épouse survoltée, l’impayable Doris Lamprecht, qui a gardé une projection spectaculaire, et joue les despotes avec éclat et gourmandise, tandis que sa défaite à lui se traduit dans une mezza voce devenue opaque. Les sœurs sont pétulantes, et Marlène Assayag traduit finement la magie de la Fée avec ses volutes de trilles et aigus piqués, méconnaissable sous son déguisement de sans-abri. Jean-Fernand Setti est un Roi physiquement et vocalement imposant, et le Premier ministre de Jean-Christophe Fillol déploie son autorité en peu de mots, comme le médecin de Christophe Berry et le Surintendant des plaisirs de Thibault de Damas. Les chœurs, préparés par Merion Powell, sont parfaits, surtout les elfes.


Le couple pivot de l’opéra est assez équilibré, la soprano canadienne Hélène Guilmette charmant l’auditoire par son timbre délicat et égal sur tout l’ambitus du long rôle; après avoir été une charmante Sophie dans Werther, elle présente une Cendrillon assez diaphane, à laquelle elle apportera sans doute un surcroît d’émotion au cours de la production. Mais l’événement de la matinée a été pour beaucoup de spectateurs la découverte d’Antoinette Dennefeld en Prince charmant. La mezzo strasbourgeoise joue un ado à tendance gothique dont le mal de vivre est pleinement touchant, et l’éclat fulgurant de son mezzo clair emporte le public dès son premier air «Cœur sans amour». Ce portrait d’un jeune homme torturé mais sachant répondre à l’appel de la beauté sincère émeut profondément par toutes les ressources d’un jeu théâtral accompli, sans une seconde de relâchement, et par les charmes d’une voix idéalement projetée et dont la palette de couleurs semble infinie.


Somme toute, David Hermann signe une production qui a le grand mérite de renouveler l’image du conte mis en musique par Massenet, même s’il lui fait perdre un brin d’enchantement, et une distribution de haute tenue lui donne corps, sous la houlette d’un chef inspiré: de quoi séduire les Nancéens dans la période des fêtes.



Philippe Manoli

 

 

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