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Une création française à Versailles

Versailles
Opéra royal
12/04/2019 -  et 5, 7, 8 décembre 2019
John Corigliano: The Ghosts of Versailles
Yelena Dyachek (Marie-Antoinette), Jonathan Bryan (Beaumarchais), Kayla Siembieda (Susanna), Ben Schaefer (Figaro), Brian Wallin (Comte Almaviva), Joanna Latini (Rosina), Peter Morgan (Louis XVI), Christian Sanders (Patrick Honoré Bégearss), Emily Misch (Florestine), Spencer Britten (Léon)
Choeurs et danseurs du Festival de Glimmerglass, Orchestre de l’Opéra royal, Joseph Colaneri (direction musicale)
Jay Lesenger (mise en scène), James Noone (scénographie), Nancy Leary (costumes), Robert Wierzel (lumières), Eric Sean Fogel (choréographie)


(© Karli Cadel)


Un opéra en création française à Versailles? Il fallait oser et Laurent Brunner l’a fait! En s’associant au prestigieux festival de Glimmerglass, situé dans l’Etat de New York entre Syracuse et Albany, où Les Fantômes de Versailles de John Corigliano (né en 1938) ont été présentés cet été, l’Opéra de Versailles nous permet de découvrir la musique d’un compositeur régulièrement fêté en son pays avec de nombreux prix (Pullitzer, Grammy Awards, etc), mais plutôt méconnu en Europe. Commandés pour fêter le centenaire de l’Opéra de New York en 1983, Les Fantômes de Versailles ne furent créés qu’en 1991, recueillant un succès triomphal avec des interprètes de tout premier plan – Renée Fleming, Marylin Horne et James Levine notamment. L’ouvrage imagine la rencontre des fantômes de Beaumarchais (sorte de Monsieur Loyal doté de pouvoirs magiques), Louis XVI et Marie-Antoinette, tous réunis au purgatoire pour assister à une improbable représentation théâtrale qui pense pouvoir modifier la réalité historique et sauver la reine de son exécution...


Très éloigné de l’avant-garde de Darmstadt, Corigliano entrecroise de multiples influences à la manière de la veine polystylistique d’Alfred Schnittke, en un style foisonnant et parfois déroutant. Le début de l’ouvrage fait ainsi entendre une dette à Ligeti, avant de nous embarquer dans une partition brillamment colorée au niveau orchestral (grande palette d’effets en tout genre), intercalant des pastiches de la musique du XVIIIe siècle ou de l’orientalisme (désopilante turquerie chantée par rien moins que Marylin Horne à la création), tout en se rapprochant de l’écriture vocale de Britten dans les ensembles conclusifs, dès lors que l’émotion prend davantage de place. Le livret très original de William M. Hoffman bénéficie de son expérience théâtrale à Broadway, tant les allers-retours nombreux entre fantômes et théâtre dans le théâtre ne nuisent jamais à l’efficacité de l’ensemble, sans jamais oublier un humour très présent, en phase avec l’hommage rendu à l’opéra bouffe. La mise en scène efficace et énergique de Jay Lesenger reste au plus près des intentions musicales, donnant à voir différents tableaux rapidement revisités en une maestria astucieuse et malicieuse, malgré quelques débordements dans les scènes de groupe. Les costumes et décors à l’ancienne évoquent le XVIIIe siècle par les figures du roi et de la reine imprimés en arrière-plan, au service d’une lecture illustrative, conforme au livret.


La présente version, d’une durée d’environ deux heures, a été réduite d’un tiers par rapport à 1991, et dans une certaine mesure en comparaison de celle de 2015 à Los Angeles, qui a permis l’édition du premier enregistrement mondial. Le plateau vocal, pratiquement entièrement anglophone (à l’exception de la diction perfectible de Yelena Dyachek), se montre d’un bon niveau global, d’où se détache le Beaumarchais de Jonathan Bryan, dont l’aisance vocale entre émission de velours et beauté du timbre, trouve un engagement dramatique toujours bien incarné. A ses côtés, la Marie-Antoinette de Yelena Dyachek déçoit dans la délicatesse des premières scènes, avant de bien se reprendre dans la fureur au II. En pleine voix, les quelques duretés dans l’aigu restent parfaitement en phase avec l’émotion ressentie par celle qui entrevoie déjà l’échafaud – bien éloignée de la Marie-Antoinette frivole qu’on nous présente souvent. Si Peter Morgan donne à son Louis XVI un caractère plus affirmé que celui habituellement décrit par les historiens, cela a au moins l’avantage de conférer une présence vocale bienvenue au rôle. On lui préfère toutefois le rayonnant Bégearss (un personnage imaginaire, entre Danton et Robespierre, dont le nom pourrait être traduit par «convoitise») de Christian Sanders, idéal de noirceur avec son attention millimétrée à la rythmique des phrasés. On mentionnera aussi la prestation étonnante de Gretchen Krupp, qui, si elle n’a pas le physique de la danseuse de harem, a en revanche tout l’éclat vocal requis. Assurément un des grands moments de la soirée, vivement applaudi par le public.


Enfin, on se félicite de la création de l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles, dont les débuts donnent beaucoup de satisfactions, notamment côté vents. Il reste toutefois à améliorer les pupitres de cordes qui patinent en plusieurs occasions, notamment dans les transitions entre musique contemporaine et pastiches de musiques anciennes. On retrouvera cet orchestre en accompagnement du ballet de Malandain Marie-Antoinette (décidément à l’honneur!), présenté du 4 au 7 juin 2020, mais également comme partenaire des nombreux enregistrements discographiques prévus tout au long de la saison.



Florent Coudeyrat

 

 

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