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De chair et de sang

München
Nationaltheater
11/17/2019 -  et 20, 23, 25 novembre 2019
Alban Berg : Wozzeck, opus 7
Christian Gerhaher (Wozzeck), John Daszak (Le Tambour-major), Kevin Conners*/Tansel Akzeybek (Andres), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Le Capitaine), Jens Larsen (Le Docteur), Ulrich Ress (Le Fou), Gun-Brit Barkmin (Marie), Heike Grötzinger (Margret)
Chor der Bayerischen Staatsoper, Kinderchor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Hartmut Haenchen (direction)
Andreas Kriegenburg (mise en scène), Harald B. Thor (décor), Andrea Schraad (costumes), Stefan Bolliger (lumières), Zenta Haerter (chorégraphie)


(© Wilfried Hösl)


Créée en novembre 2008, cette production de Wozzeck a été l’une des toutes premières de l’intendant Nikolaus Bachler. Je me souviens de l'entretien qu’il m’avait accordé le lendemain de l’une des représentations, pour Opéra Magazine, et où il prenait fermement position par rapport aux notions de Regietheater et de modernité scénique. «Ce qui est essentiel en matière artistique, et a fortiori pour les mises en scène, c’est que restent en place certains repères [...]. Voyez notre production récente de Wozzeck, dans laquelle beaucoup de spectateurs peuvent se retrouver. Certains ont dénoncé dans ce consensus une sorte de retour en arrière, alors qu’il s’agit en fait d’une production plutôt en avance sur l’époque. Il y a quelque chose de faux dans ce paradoxe qui veut que quand une production est acclamée dans la presse les salles restent vides, et inversement [...]. Ceci ne signifie pas que nous devions forcément plaire, mais notre existence n’a pas de sens si nous ne sommes pas compris. La qualité la plus indiscutable de cette production de Wozzeck, est qu’elle facilite au public l’accès à Alban Berg. Nous avons dû distribuer beaucoup d’invitations pour la première, en raison d’une vente insuffisante, mais depuis les salles sont combles. Un Wozzeck, à guichets fermés, c’est certainement un beau compliment pour la production


Parvenu bientôt à l'autre bout d’un mandat pendant lequel il a effectivement redressé le niveau artistique de l’Opéra de Munich, Nikolaus Bachler a gardé un attachement particulier pour ce Wozzeck, repris ce soir encore devant une salle bien remplie, et pas seulement d’étudiants qui achètent leur place à prix bradés. Même techniquement, la reprise reste impeccable, avec toujours cette sinistre cage de scène trapézoïdale aux murs de béton lépreux, faussement misérabiliste car elle est en fait suspendue, pouvant reculer et s’avancer à volonté au-dessus d’un plateau inondé, flaque quadrangulaire où pataugent de noirs figurants anonymes, allégoriques d’une pauvreté dont périodiquement les corps chutent dans l’eau. Et les subtiles références au théâtre expressionniste de la direction d’acteurs d’Andreas Kriegenburg ont été soigneusement entretenues : gestes stylisés et comme grossis à la loupe, à la façon de ces corps tétanisés par la souffrance des tableaux de Schiele et Kokoschka.


Musicalement, on gardait le souvenir d’une solide lecture factuelle, par des chanteurs proches du quotidien populaire du drame (Michael Volle, Micaela Schuster, Wolfgang Schmidt...). Un prosaïsme sinistre imputable aussi à la raideur réfrigérante du directeur musical de l’époque, Kent Nagano, analytique mais prenant peu parti. Rien de tel avec Hartmut Haenchen, auquel on a vraisemblablement confié ce petit groupe de quatre représentations sans lui accorder beaucoup de répétitions préalables. Là ce sont surtout les réflexes d’un orchestre d’une solidité à toute épreuve et l’expérience d’un chef de théâtre, rompu en particulier au répertoire wagnérien, qui sont mis à contribution, et le résultat est probant: une lecture fonctionnelle, au sens où elle limite la dynamique d’une orchestration riche dans des limites strictes, mais d’une richesse appréciable en couleurs et en phrasés. Et la production en acquiert enfin un soubassement à sa mesure, en termes d’expressivité et de beauté plastique. Un écrin valorisant aussi pour une distribution où seuls les excellents Andres et Margret de Kevin Conners et Heike Grötzinger, infatigables chanteurs de troupe, subsistent encore de l’affiche originale. Après son mémorable Amfortas du Festival 2018, véritable bloc de souffrance d’écorché vif, on attendait beaucoup de Christian Gerhaher en Wozzeck, et on n’est pas déçu. Le baryton allemand garde toute sa subtilité d’intense chanteur de lied, mais parvient à trouver des ressources nouvelles à son timbre clair, dont les couleurs même semblent geindre, avec une sorte d’apathie hallucinée dans la prononciation du texte qui donne froid dans le dos. Formidable Marie de Gun-Brit Barkmin, simple mais jamais populacière, à la diction précise et aux aigus bouleversants. Et une terrible brochette de tourmenteurs cyniques, à la dégaine évocatrice à souhait (orthèses et cuirs, chairs adipeuses qui débordent, crânes livides dégarnis) : Tambour-Major sonore et tranchant de John Daszak, Capitaine cauteleux de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, patibulaire Docteur de Jens Larsen. Si la qualité d’une maison de répertoire doit se juger aussi au niveau de ses reprises, Munich passe brillamment l’examen.


Le lecteur pourra le constater le 23 novembre à 19 heures grâce à un streaming en direct sur le site staatsoper.tv.



Laurent Barthel

 

 

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