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Leonardo García Alarcón embras(s)e tous les claviers des émotions humaines à Radio France Paris Maison de la radio 10/23/2019 - «Canto all’improviso»
Jacques Arcadelt : Il bianco e dolce cigno – Vostra fui
Cipriano de Rore : Ancor che col partire
Sigismondo d’India : Piangono al piange moi
Claudio Monteverdi : Madrigali guerrieri e amorosi: «Lamento della ninfa», SV 163
Hanacpachap cussicuinin (chant quechua)
Francisco Correa de Arauxo :Tiento y discurso de segundo tono – Magnificat
Anonyme (XVIIe siècle) : Jácara «No hay que decirle el primor»
Nicolas de Grigny : Offertoire sur les Grands Jeux
Jean-Philippe Rameau : Les Indes galantes: air de Phani «Viens hymen»
Fête persane : Tendre amour
Peter Philips : Pavana Paggets
George Frideric Handel : Ode for the Birthday of Queen Anne, HWV 74: «Eternal Source of Light Divine»
Johann Sebastian Bach : Choral «Wer nur den lieben Gott lässt walten, BWV 434 – Chorals BWV 691 et BWV 21 (extraits) Julie Roset, Mariana Flores (sopranos), Paulin Bündgen (contre-ténor), Nicholas Scott, Mathias Vidal (ténors), Hugo Oliveira (basse), Leonardo García Alarcón (orgue et direction)
L. García Alarcón (© François Berthier)
Artiste actuellement en résidence à Radio France, Leonardo García Alarcón propose un concert d’une originalité réjouissante où improvisations et variations instrumentales se conjuguent avec jubilation chorale. Le héros de la soirée, c’est l’orgue Grenzig du grand auditorium. En écho au programme, dont les cinq stations nous font voyager de l’Italie à l’Allemagne en passant par l’Espagne, la France et l’Angleterre, Leonardo García Alarcón vaque avec un égal bonheur de la console mécanique (en hauteur) à la console mobile (sur scène) selon les répertoires. Musicien polyvalent, donc, mais aussi prestidigitateur, l’auditeur ne parvenant plus distinguer les pièces originales de celles transcrites pour le «pape des instruments» (dixit Berlioz dans son Traité d’orchestration).
Seul moment où l’orgue se montre un peu trop omniprésent tout en escamotant la part sensuelle du madrigal (d’ordinaire accompagné par un continuo composé de cordes pincées), le célèbre Lamento della ninfa de Monteverdi bénéficie en contrepartie de l’incarnation de Mariana Flores, magnifiée par sa robe fuselée et une mise en espace aux éclairages suggestifs. Auparavant, la chanteuse aura montré l’étendue de sa technique dans Piangono al piange moi de Sigismondo d’India, où les cascades de «sospiri» s’accordent au très virtuose quilisma (répétition rapide d’une même note).
Parmi ses quatre acolytes, tous issus de l’ensemble Cappella Mediterranea, se détache le frais soprano de Julie Roset, idéal pour les inflexions arcadiennes de l’air de Phani «Viens hymen» extrait des Indes galantes, et l’hymne «Eternal Source of Light Divine» de Haendel (chanté depuis la tribune), qui déroule son savoureux ruban de doubles croches en dialogue avec la main droite de l’organiste, laquelle se substitue à la partie de trompette originale. Les cinq voix réunies dans le choral varié Wer nur den lieben Gott lässt walten BWV 434 rendent justice à l’écriture polyphonique de Bach (doublure à l’orgue de la partie de cantus firmus), mise au service d’une rhétorique de la foi.
On le savait chef d’orchestre, chef de chœur et continuiste, mais voici qu’à cette occasion Leonardo García Alarcón ajoute une corde à sa lyre (celle du poète) avec l’orgue: collant au texte comme le négatif à l’image photographique, son jeu se distingue par son articulation d’une grande clarté. Epaulé par Alessandro Urbano («assistant à l’orgue»), l’Argentin façonne des registrations adaptées à chaque musique, en privilégiant la légèreté des textures pour l’accompagnement des madrigaux (les pieds restent à distance du pédalier) pour mieux exploiter la grandiloquence des grands jeux dans l’Offertoire de la Messe de Grigny, authentique ouverture à la française avec son cortège de rythmes pointés.
Accueil enthousiaste du public, gratifié d’un bis: le sublime «Tendre amour» des Indes Galantes, que Leonardo García Alarcón, qui vient de diriger la nouvelle production du chef-d’œuvre de Rameau à l’Opéra de Paris (voir ici), enrobe avec dilection, la partition dans la tête et le regard (amoureusement) tourné vers son épouse Mariana Flores.
Jérémie Bigorie
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