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Mirga et son orchestre Baden-Baden Festspielhaus 10/11/2019 - et 9 (Hamburg), 10 (Köln) octobre 2019 Henry Purcell/Steven Stucky : Funeral Music for Queen Mary
Edward Elgar : Concerto pour violoncelle en mi mineur, opus 85
George Benjamin : Ringed by the Flat Horizon
Ralph Vaughan Williams : Fantasia on a Theme by Thomas Tallis Sheku Kanneh-Mason (violoncelle)
City of Birmingham Symphony Orchestra, Mirga Grazinytė-Tyla (direction)
M. Grazinytė-Tyla (© Ben Ealovega)
L’Orchestre de Birmingham a donné son tout premier concert en 1920, sous la direction de Sir Edward Elgar : donc un centenaire imminent et qui va donner lieu pendant deux saisons à de multiples festivités et tournées. Après les directeurs musicaux Louis Frémaux, Simon Rattle, Sakari Oramo et Andris Nelsons, le CBSO a choisi en 2016 de nommer à ce poste, en vue d’y exercer un dynamic leadership, la jeune Lituanienne Mirga Grazinytė-Tyla, 33 ans. Ancienne assistante de Gustavo Dudamel au Los Angeles Philharmonic, à la suite d’un parcours classique de jeune chef subalterne dans plusieurs théâtres de langue allemande (Berne, Heidelberg, Landestheater de Salzbourg), Mirga Grazinytė-Tyla ou plutôt Mirga, comme beaucoup préfèrent l’appeler, ce qui évite de se risquer à prononcer son patronyme entier, semble remporter pour l’instant à Birmingham un véritable succès. Cela dit il reste difficile de se rendre compte, à la lecture de comptes rendus bizarrement rares et neutres, de son impact exact sur le rayonnement artistique d’un orchestre qui avait dû attendre en son temps la nomination de Simon Rattle (guère plus vieux à l’époque : 35 ans), pour acquérir une véritable réputation d’excellence au niveau international. Certes un contrat vient d’être signé chez Deutsche Grammophon, mais on sait aussi que cela ne signifie plus vraiment grand chose aujourd’hui.
Au Festspielhaus de Baden-Baden, l’un des objectifs avoués du nouvel intendant Benedikt Stampa semble de faire émerger de nouvelles têtes, des profils à même de renouveler le vedettariat que la maison pratique depuis plus de vingt ans et qui a tendance à se scléroser : le brillant Lahav Shani il y a quelques jours, l’atypique Teodor Currentzis qui sera un invité privilégié à Baden-Baden tout au long de cette saison, et maintenant Mirga Grazinytė-Tyla, présentée par le site web du Festival comme emblématique d’un «vent de fraîcheur féminin qui souffle sur la jeune génération». Un souffle nouveau qui ce soir n’a malheureusement pas poussé grand monde vers un Festspielhaus vraiment peu rempli. On constatera que ni un hypothétique «effet Mirga», ni l’attractivité présumée d’un tout jeune violoncelliste que les friands d’événements people ont pu entrevoir lorsqu’il a joué au mariage de Meghan Markle et du Prince Harry, n’ont suffi à rendre plus attractif un programme entièrement britannique, plutôt original sur le papier, mais assurément peu vendeur.
Concert au début bizarre, puisqu’en fait de Musique pour les funérailles de la Reine Mary de Purcell, il s’agit d’un arrangement très partiel pour cuivres, timbales, harpe et piano dû au compositeur américain Steven Stucky (à l’origine une commande d’Esa-Pekka Salonen pour les cuivres du Philharmonique de Los Angeles). On voit Mirga Grazinytė-Tyla monter sur son podium et diriger de très loin une rangée d’instrumentistes en fond de scène, pendant que sur le côté gauche l’alliage insolite des timbres du piano et de la harpe donne une coloration particulière à l’ensemble, avant que les timbales de cette procession funèbre n’entrent vraiment en scène. Isolée à l’avant-scène, la gestique sémaphorique de «Mirga» déconcerte, battue platement scolaire de la main droite et surtout incessants mouvements ascendants et ondoyants du bras gauche qui semblent peu opérants sur des cuivres relativement incertains. Pour la seconde partie, l’arrangeur prend davantage la main, avec de poétiques effets de diffraction à la Berio, mais qui tournent court, la pièce ne durant qu’une dizaine de minutes au total.
Dans le Concerto pour violoncelle d’Elgar, Sheku Kanneh-Mason, tout juste 20 ans, nous offre une jolie lecture linéaire, toute en nuances, mais à laquelle manque une véritable assurance de grand soliste romantique. Ce concerto s’inscrit quand même dans une vraie logique d’affrontement avec l’orchestre, or ici cette confrontation d’esprit brahmsien ne se produit jamais. La partie soliste est agréablement phrasée, sensible, quant à l’orchestre, pourtant extrêmement fourni, sa dynamique paraît complètement écrasée, discours réduit à l’insignifiance par une direction dépourvue de tout geste incisif. Malgré l’aura attachante du soliste, une exécution frustrante, qui donne l’impression de glisser sur l’œuvre comme l’eau sur les plumes d’un canard. Gentil bis : une Chanson hébraïque arrangée par Sheku Kanneh-Mason, avec au milieu une mélodie sifflée par l’interprète en s’accompagnant sur son instrument.
En seconde partie, on découvre une Mirga Grazinytė-Tyla davantage déterminée à hausser le ton, mais là encore la gestique ne fonctionne pas bien, avec de nombreuses imprécisions et des problèmes d’ensemble. Pourtant le CBSO joue là une œuvre contemporaine que l’on ne connaît pas du tout, mais il suffit de bien regarder pour réaliser à quel point les cafouillages sont nombreux, les musiciens paraissant souvent à bout de ressources quand il s’agit d’interpréter les signaux évasifs qui leur parviennent depuis le podium. Ringed by the Flat Horizon est une œuvre pour grand orchestre d’un Georges Benjamin encore à ses débuts, mais on y découvre déjà une belle subtilité dans le maniement des alliages de timbres, avec des progressions d’accords qui rendent parfois clairement hommage à Messiaen. Mirga Grazinytė-Tyla nous la fait visiter avec une attention louable accordée aux ambiances et aux couleurs, mais techniquement l’intendance ne suit pas.
Enchaînement direct, sans césure, avec l’œuvre suivante, ce qui est n’est pas du tout une bonne idée. Le temps de se rendre compte du fondu-enchaîné (ce qui pour nous intervient tôt, parce qu’on connaît l’œuvre de Vaughan Williams, mais qu’en est-il du public non informé ?), les premières mesures de la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis sont déjà écoulées, et du coup leur originalité de facture passe inaperçue. On apprécie les cordes du CBSO, enfin libérées, qui peuvent produire un son volumineux et bien nourri, cela dit cette très belle partition paraît amorphe et monotone, faute d’un travail intéressant sur les phrasés. On a vraiment l’impression d’oppositions très primaires («fort» versus «pas fort», ou encore «du son» versus «pas de son»), en vue d’un résultat étale, comme si Mirga Grazinytė-Tyla confondait le «retour à» de Vaughan Williams avec le post-modernisme froid d’un Arvo Pärt. En désespoir de cause, on essaie d’écouter les yeux fermés, ce qui permet au moins de s’abstraire des constants ondoiements natatoires de la direction, mais en vain : on s’ennuie ferme.
Pour le bis, le CBSO se transforme en chorale et nous chante avec un bel entrain un air d’allure populaire. Renseignement pris, il s’agissait en fait de Pastime with good company, dû à la plume du Roi Henri VIII lui-même. Tout cela est charmant, dans un chaleureux style de taverne conviviale, mais ne remplace pas le grand morceau d’orchestre brillant qu’il aurait été tout à fait essentiel de glisser là. Quand Iván Fischer nous fait joyeusement chanter son Orchestre du Festival de Budapest en chœur, c’est entre les pages d’un concert en général passionnant et d’une technicité indiscutable, alors qu’ici, à l’issue d’une soirée aussi terne et décevante, c’est véritablement une erreur stratégique.
Laurent Barthel
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