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Et glou, et glou !

Karlsruhe
Staatstheater
09/22/2019 -  et 12 octobre, 5, 28 novembre, 29 décembre 2019, 18 janvier, 13 mars 2020
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
Julian Hubbard*/Rodrigo Porras Garulo/Ramón Vargas (Hoffmann), Alexandra Kadurina*/Dilara Baştar (Nicklausse, La Muse), Uliana Alexyuk*/Sophia Theodorides (Olympia), Ina Schlingensiepen*/Agnieszka Tomaszewska/Nino Machaidze (Antonia), Jennifer Feinstein*/Barbara Dobrzanska (Giulietta), Dilara Baştar*/Jennifer Feinstein/Agnieszka Tomaszewska (Stella), Konstantin Gorny*/Nicholas Brownlee (Lindorf, Coppelius, Miracle, Dapertutto), Matthias Wohlbrecht (Andrès, Cochenille, Pittichinaccio, Franz), Vazgen Gazaryan (Crespel), Ariana Lucas*/Christina Niessen (La Mère d’Antonia), Klaus Schneider (Spalanzani), Merlin Wagner (Schlémil, Hermann), Edward Gauntt (Luther), Barıs Yavuz (Nathanaël), Lukas Eder (Wilhelm), Veith Wagenführer (Wolfram), Alexander Huck/Lukasz Ziolkiewicz (Capitaine des sbires)
Badischer Staatsopernchor, Ulrich Wagner (chef de chœur), Badische Staatskapelle, Dominic Limburg (direction)
Floris Visser (mise en scène), Gideon Davey (décors), Dieuweke van Reij (costumes), Alex Brok (lumières)


(© Falk von Traubenberg)


On n’a pas attendu cette année de bicentenaire pour constater à quel point le contenu musical des Contes d’Hoffmann peut différer d’une production à une autre, mais en ce moment la multiplication des représentations de l’ultime ouvrage d’Offenbach nous fait plonger à chaque fois davantage dans un grand fouillis. En résumé, soit on opte pour une version relativement intégrale (souvent la proposition de Jean-Christophe Keck, juste allégée de quelques redites) avec à la clé un ouvrage indigeste à force de longueurs wagnériennes, soit on construit sa représentation en kit, en piochant dans la surabondance des airs, récitatifs, dialogues parlés, mélodrames, proposés par les diverses éditions disponibles, musicologiquement informées ou plus fantaisistes. Comme d’habitude, la version de Karlsruhe ne ressemble donc à aucune autre et se visite comme un marché aux puces où on ne sait jamais ce qu’on va dénicher sur la prochaine étagère. Ici la cantatrice Stella chante beaucoup (certaines musiques voyagent aussi d’un rôle à l’autre, histoire d’augmenter la confusion), les mélodrames de liaison sont nombreux, le sextuor apocryphe de l’acte de Venise a été récupéré, le rôle de Nicklausse a été bien taillé mais pas trop... la proposition reste copieuse, de quoi faire durer la soirée environ 4 heures, deux entractes compris.


Certains choix procèdent directement des options de la mise en scène du Néerlandais Floris Visser. Un travail sur l’interchangeabilité des trois grandes figures féminines, traitées comme autant de projections fantasmatiques du poète à partir de la quatrième, son amante Stella. L’idée n’est pas du tout nouvelle mais elle est efficacement concrétisée dans le décor mobile conçu par Gideon Davey : comme souvent le comptoir et les tables d’un café attenant au théâtre où se produit la Stella dans le Don Giovanni de Mozart, mais l’endroit est d’une agréable esthétique Art nouveau et ne dévoile ses possibilités que peu à peu. Jeu de transparences à travers des miroirs sans tain, scène tournante divisée en trois tiers où on va retrouver à chaque fois les mêmes niches et étagères de café, mais garnies tantôt de bouteilles, tantôt de bocaux et de tableaux noirs couverts de formules mathématiques chez Spalanzani, tantôt de partitions, cartons non déballés et violons chez Crespel. Transposition d’époque prudente (au milieu du siècle dernier ?), avec quelques gadgets modernistes (le studio avec micros suspendus et petit orchestre où la mère d’Antonia enregistre son prochain succès discographique, les pancartes révolutionnaires très soixante-huitardes des étudiants pendant le prologue...), le tout restant globalement pertinent. Apothéose pendant le Sextuor (c’est aussi pour cela que cette pièce a été « repêchée » et on avoue la retrouver avec grand plaisir, car c’est de la très bonne musique, même si elle n’est pas vraiment d’Offenbach) : le décor tourne à grande vitesse, exposant dans chacune des ses trois parties les personnages des actes précédents (en train de chanter, donc sur des répliques qui en principe n’appartiennent pas à leur rôle), accumulation de tous les éléments d’un délire éthylique d’Hoffmann parvenu à son paroxysme.


Très bonne tenue musicale de cette reprise d’un spectacle récent, présenté initialement en fin de saison 2018/2019. On apprécie une véritable homogénéité de niveau vocal, ainsi que l’assez bonne intelligibilité française de tous les éléments d’une distribution pourtant cosmopolite, ce qui nous change agréablement des Contes d’Hoffmann en volapük dont les scènes internationales sont coutumières. En fosse le Zurichois Dominic Limburg, 29 ans, succède à Constantin Trinks, représentations précédentes dont l’orchestre, d’une remarquable sûreté, garde encore l’empreinte : des contrastes très accusés, voire une certaine emphase (les décibels de l’apothéose finale font trembler la salle). Mais l’ensemble fonctionne, le jeune Zweiter Kapellmeister d’un soir faisant preuve une réelle emprise, et sur le plateau et sur une fosse qui évite tout débraillé. D’un niveau véritablement international, les quatre rôles diaboliques tenus par le baryton-basse russe Konstantin Gorny, l’un des meilleurs éléments de la troupe de Karlsruhe, d’une indéniable classe, et l’Antonia très attachante d’Ina Schlingensiepen. Olympia plus acide d’Uliana Alexyuk, que le metteur en scène traite davantage comme une sorte d’androïde au comportement un peu autiste que comme un automate caricatural. Giulietta généreuse mais moins intelligible de Jennifer Feinstein. Belle découverte avec le Hoffmann très engagé de Julian Hubbard : timbre riche et belle stature de héros romantique mais endurance parfois prise en défaut, dans un rôle que les versions modernes rendent de plus en plus lourd en augmentant le nombre de pages à chanter. En tout cas une très belle composition, sur laquelle tout le concept scénique repose, avec le personnage constamment présent sur le plateau et jamais bien éloigné d’une bouteille. Tiraillé entre l’amour et sa muse, le poète finit classiquement noyé dans l’alcool, mais les éléments de son délire ont été très fructueusement mis en scène au cours de cette soirée intelligemment conçue.



Laurent Barthel

 

 

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