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Le coup de tonnerre Currentzis secoue Lucerne Lucerne Centre de la culture et des congrès 09/14/2019 - et 15* septembre 2019 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 – Così fan tutte, K. 588
14 septembre
Don Giovanni : Dimitris Tiliakos (Don Giovanni), Robert Lloyd (Commendatore), Nadezhda Pavlova (Donna Anna), Kenneth Tarver (Don Ottavio), Federica Lombardi (Donna Elvira), Kyle Ketelsen (Leporello), Ruben Drole (Masetto), Christina Gansch (Zerlina)
15 septembre
Così fan tutte : Nadezhda Pavlova (Fiordiligi), Paula Murrihy (Dorabella), Konstantin Suchkov (Guglielmo), Mingjie Lei (Ferrando), Cecilia Bartoli (Despina), Konstantin Wolff (Don Alfonso)
musicAeterna Choir of Perm Opera, Vitaly Polonsky (préparation), musicAeterna Orchestra of Perm Opera, Teodor Currentzis (direction)
(© Peter Fischli/Lucerne Festival)
L’édition 2019 du Festival de Lucerne s’est terminée en apothéose, avec la trilogie Mozart/Da Ponte dirigée par Teodor Currentzis et entrecoupée d’une soirée d’airs de Mozart avec Cecilia Bartoli. Quatre concerts quatre soirs de suite avec quatre programmes différents (une gageure pour les musiciens) et à chaque fois une ovation debout, le trublion grec a marqué les esprits à Lucerne. Charlatan pour certains, révolutionnaire pour d’autres, le maestro polarise. Au-delà d’une affaire de goût, il faut lui reconnaître un grand mérite : il apporte un vent de fraîcheur bienvenu et fait sonner des ouvrages qu’on croyait pourtant connaître sur le bout des doigts comme si on les écoutait pour la première fois. Sa direction réinvente les partitions de Mozart. Comme on pouvait s’y attendre, c’est dans Don Giovanni que la réussite est la plus éclatante. Sous la baguette de Teodor Currentzis, l’œuvre n’aura jamais semblé aussi vivante et théâtrale. La musique vibre à chaque note. Les tempi sont rapides, parfois effrénés, rendant souvent compliquée la tâche des musiciens ou des chanteurs, par exemple dans l’« Air du champagne ». Juste après, le rythme s’alanguit, exacerbant les contrastes. Pareil avec les fortissimi, suivis de pianissimi éthérés. Les ruptures de rythme sont fréquentes, les accents sont marqués fortement. Les couleurs et la respiration ne sont cependant pas oubliées, avec aussi de longs moments de silence interrompant la musque, pendant lesquels les spectateurs retiennent leur souffle. Voir le chef danser sur son podium ou se placer devant les chanteurs pour murmurer leurs airs avec eux est aussi tout un spectacle. La plupart des musiciens jouent debout. Les premiers accords de l’Ouverture, triple fortissimo, font frissonner le public et donnent le la de la soirée : c’est à un Don Giovanni de fureur et de fracas, un Don Giovanni survolté que nous convie le chef. Un Don Giovanni où la musique se fait drame et théâtre, sans besoin de mise en scène. Alors tant pis si le plateau vocal n’est pas des plus relevés, car chaque interprète est totalement investi dans son personnage, à l’image du Don Giovanni à la voix sans séduction particulière de Dimitris Tiliakos, mais promenant son ennui et sa nonchalance avec une présence scénique confondante.
Le lendemain, Così fan tutte vaut surtout pour la présence de Cecilia Bartoli en Despina. Deux soirs plus tôt, le chef et la chanteuse s’étaient retrouvés ensemble sur scène pour la toute première fois, pour un concert d’airs de Mozart. Le rendez-vous n’a pas tenu toutes ses promesses, Cecilia Bartoli accusant une méforme passagère, avec une voix plus ténue que d’ordinaire, et restant sur la réserve, comme réticente à entrer entièrement dans le jeu du chef. En Despina, le public lucernois l’a retrouvée complétement métamorphosée, incarnant une servante espiègle et rusée, véritable boule d’énergie tirant les ficelles de la représentation, avec en point d’orgue un numéro inénarrable d’avocat à la voix nasillarde débitant son texte à une vitesse proprement hallucinante, sous les yeux écarquillés de Teodor Currentzis.
Claudio Poloni
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