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Deux géants face à face

Salzburg
Haus für Mozart
08/15/2019 -  
Sergei Prokofiev: Ouverture sur des thèmes juifs, opus 34
Robert Schumann : Quintette avec piano en mi bémol majeur, opus 44 – Sonate pour violon et piano n° 1 en la mineur, opus 105 (#) – Andante et Variations pour deux pianos, deux violoncelles et cor, WoO 10 (*)

Jussef Eisa (clarinette), Ben Goldscheider (cor), Michael Barenboim (#), Mohammed Hiber (violon), Miriam Manasherov (alto), Astrig Siranossian, Adi Tal (violoncelle), Martha Argerich, Daniel Barenboim (*) (piano)


M. Argerich/D. Barenboim (© Heitman/Adamik)


Le West-Eastern Divan Orchestra (WEDO), qui fête en 2019 ses vingt étés d’existence, fait partie cette année du petit groupe trié sur le volet d'orchestres étrangers invités au Festival de Salzbourg (avec aussi, pour un total que l’on peut trouver hétérogène, outre les habituels Berliner Philharmoniker, Orchestre de la Radio Bavaroise, Orchestre du SWR, Gustav Mahler Jugendorchester et Orchestre du Gewandhaus de Leipzig). Sur le plateau du Grosses Festspielhaus, les deux concerts du WEDO et Daniel Barenboim n’hésitent pas à afficher de hautes ambitions : Symphonie «Inachevée» de Schubert, Septième Symphonie de Beethoven, Concerto pour orchestre de Lutoslawski, Premier Concerto pour piano de Tchaïkovski avec Martha Argerich... Des projets qui comptent davantage sur la fraîcheur des interprètes, voire leur passion artistique commune au service d’une utopie infiniment respectable, que sur la cohésion plus professionnelle d’autres formations invitées (rappelons que le WEDO reste un orchestre temporaire de jeunes musiciens qui se réunissent chaque été, pour se redisperser ensuite).


Un troisième concert, de musique de chambre cette fois, ne fait intervenir que quelques jeunes musiciens du WEDO, sous la houlette de Martha Argerich, qui accompagne toutes les pièces de la soirée. Il est évident qu’avec un personnalité aussi considérable assise au piano, un certain déséquilibre risque de s’installer. Une impression diffuse à certains moments du concert, comme si Argerich éprouvait du mal à trouver ses marques, une certaine appréhension, de peur de bousculer de jeunes partenaires à la limite du fragile. Le premier mouvement du Quintette avec piano de Schumann en fait un peu les frais : une véritable bête fauve est assise au piano, mais qui ne sait pas toujours à quel moment réserver ses coups de patte sans risquer de déséquilibrer l’ensemble. Au premier plan, les cordes se regardent beaucoup, le leader Michael Barenboim (qui est aussi le premier violon du WEDO, quasiment depuis les débuts de la formation) paraissant aussi avoir un peu de mal à asseoir son autorité. Donc plutôt une exécution de circonstance qu’un travail totalement abouti, mais, de ce fait même, une lecture pleine de de charme et de spontanéité, voire, à partir du deuxième mouvement, d’un vrai plaisir chambriste, accentué par l’acoustique miraculeuse de la salle (une Haus für Mozart idéale : on entend absolument tout, avec une limpidité incroyable). Dans les cavalcades du Scherzo, Martha Argerich reste au sommet de ses moyens : des traits pianistiques où tout paraît à la fois minutieusement calibré et d’une merveilleuse spontanéité (et pourtant, ce Quintette, combien de fois Martha Argerich l’a-t-elle déjà interprété au cours de sa carrière ?).


Même impression de fraîcheur dans l’Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev qui ouvre la soirée. Avec ses carrures acides et ses relents de klezmer, la pièce n’est pas du tout facile à équilibrer, pouvant vite paraître composite et désordonnée. Rien de tel ici, grâce en particulier à une partie de piano gérée avec un sens souverain des nuances (Argerich accompagne vraiment, évite d’occuper le premier plan, tout en ne laissant pas la moindre note de sa partie dans l’ombre : c’est stupéfiant à la fois de clarté et de discrétion). Jamais cette pièce difficile ne nous avait donné cette impression d’aération, avec un art souverain de prendre son temps, sans bousculade. L’instrument du clarinettiste palestinien Jussef Eisa a un son un peu sourd, qui peut paraître manquer d’une certain incisivité, en revanche on est saisi d’emblée par la sonorité de violoncelle épanouie et lumineuse de notre compatriote Astrig Siranossian.


Toujours Martha Argerich en seconde partie, accompagnant cette fois le fils de Daniel Barenboim dans la Première Sonate de Schumann : un soliste à la sonorité large mais qui manque d’une certaine luminosité. Le son reste écrasé sous le poids de l’archet, avec des inflexions un peu rugueuses, mais l’interprète parvient à imposer sa conception, plutôt ample, et surtout à garder un constant ascendant dans le duo, ce qui n’a sûrement rien de facile.


Apparition tardive de Daniel Barenboim pour tenir la seconde partie de piano dans l’Andante et Variations pour deux pianos, deux violoncelles et cor de Schumann. Interprétée pour la première fois en privé à Leipzig en 1843, par Clara Schumann et Felix Mendelssohn aux deux claviers, en compagnie de quelques instrumentistes du Gewandhaus, il s’agit d’une œuvre restée sans numéro d’opus, mieux connue dans une version postérieure, remaniée et réduite par Schumann pour deux pianos seulement, l’Andante et Variations (opus 46). Ambiance particulière, assez élégiaque, surtout dans cette première version où les sonorités du cor nimbent le tout de couleurs automnales : un équilibre probablement difficile à installer, l’ensemble devant rester d’un certain mystère, avec des sonorités adoucies. Si le piano de Martha Argerich parvient immédiatement à trouver les bons rapports sonores, celui de Daniel Barenboim paraît plus flou, avec une tendance durable à escamoter les détails, les mains du pianiste semblant s’ébrouer sur le clavier avec la souplesse de chats qui contournent les obstacles. Un jeu très efficace, sans accident patent, mais quand même expéditif voire bâclé dans l’une ou l’autre de ces variations techniquement exigeantes. Cor très sûr du jeune Ben Goldscheider, parfois un peu trop présent.


A l’heure des bis Argerich et Barenboim reviennent seuls sur la scène, pour deux des Six Pièces en forme de canon, recueil initialement écrit par Schumann pour un modèle particulier de piano muni d’un pédalier et transcrit ici pour deux pianos par Claude Debussy. Là encore les techniques des deux pianistes diffèrent tellement qu’elles peinent à s’assortir, mais on l’oublie vite, tant la complicité de ces deux immenses personnalités paraît évidente.



Laurent Barthel

 

 

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