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Opéra populaire Poitiers Sanxay (Théâtre gallo-romain) 08/10/2019 - et 12, 14* août 2019 Giuseppe Verdi: Aida Nika Guliashvili (Il Re), Olesya Petrova (Amneris), Elena Guseva (Aida), Irakli Kakhidze (Radamès), In-Sung Sim (Ramfis), Vitaliy Bilyy (Amonasro), Luca Lombardo (Un messaggero), Sophie Marin-Degor (Sacerdotessa)
Chœur des Soirées lyriques de Sanxay, Stefano Visconti (chef de chœur), Orchestre des Soirées lyriques de Sanxay, Valerio Galli (direction musicale)
Jean-Christophe Mast (mise en scène), Pascal Noël (création lumières), Jérôme Bourdin (scénographie), Laurence Fanon (chorégraphie)
Nous sommes en 1999 après Jésus-Christ. Toute la Gaule a son opéra... Toute? Non! Une région peuplée d’irréductibles mélomanes a le courage de s’attaquer à l’isolement lyrique des Pictons en montant ex nihilo dans le site historique du théâtre gallo-romain de Sanxay (Vienne) une scène où, durant l’été au moins, l’opéra puisse avoir droit de cité. Les Soirées de lyriques de Sanxay étaient nées et, depuis 2000, ont relevé le défi de présenter, sans barguigner sur la qualité artistique, des œuvres (Rigoletto, La Traviata, Nabucco, Le Trouvère, Carmen, Madame Butterfly, Tosca, La Bohème, Turandot...) parvenant à mobiliser un public dont les enquêtes montrent qu’il est majoritairement d’origine rurale et qu’il ne fréquente pas les institutions culturelles traditionnelles. Cela tient aussi à des tarifs certes élevés pour beaucoup de ménages – de 19 à 87 euros – mais point trop déraisonnables quand on conserve à l’esprit le coût de telles productions et les prix pratiqués dans d’autres lieux. Et, plus encore que d’autres, le festival ne pratique pas le «hors sol», formant les artistes et lyricophiles de demain au travers d’une académie de chant regroupant une douzaine d’adolescents et d’une initiation pédagogique touchant un millier d’élèves du primaire et du secondaire dans la Vienne et les Deux-Sèvres.
Le site de Sanxay remonte aux quatre premiers siècles de notre ère et fait l’objet de fouilles depuis la fin du XIXe, qui ont permis de mettre au jour un complexe thermal, un sanctuaire et un théâtre, dont la capacité d’accueil, en son temps, est évaluée à 6500 spectateurs. Pour les besoins des Soirées lyriques, plus de 2000 chaises sont installées, auxquelles s’ajoutent 300 places dans le «promenoir» en surplomb. Fondateur de la manifestation, Christophe Blugeon en demeure le directeur artistique, la présidence étant assurée depuis 2018 par Philippe Bélaval, président du Centre des monuments historiques, gestionnaire du site.
(© David Tavan)
Pour leur vingtième édition, les Soirées lyriques confirment qu’elles ne manquent pas d’ambition en programmant Aïda (1871) et, surtout, que cette ambition n’est pas vaine. Certes, un murmure s’élève au deuxième acte – «Ah, les trompettes!» – mais, chacun le sait, ce bref moment (justement) célèbre est l’arbre du monumental qui cache la forêt de l’intimisme du drame de Verdi: il faut donc que chacun tienne bon pour tout le reste des quatre actes, et ce dans les conditions toujours périlleuses du plein air.
L’un des mérites les plus remarquables est de réunir un orchestre complet au pied de la grande scène. Cela dit, il faut malheureusement tendre l’oreille, les cordes, en particulier, étant défavorisées par rapport aux autres pupitres; les équilibres ne sont pas toujours satisfaisants, certains instruments ressortant excessivement – tuba, percussion – sans que les musiciens ou le directeur musical, Valerio Galli, puissent en être tenus pour responsables. Pour les voix, les choses ne sont évidemment pas faciles non plus, mais force est de constater que certaines s’en sortent beaucoup mieux que d’autres. C’est notamment le cas du rôle-titre, qu’Elena Guseva incarne avec musicalité et précision, approchée de près par sa rivale Amneris, chantée avec mesure par Olesya Petrova. Les hommes paraissent moins convaincants, à commencer par le Radamès d’Irakli Kakhidze, au vibrato beaucoup trop prononcé; l’Amonasro de Vitaliy Bilyy est à la peine et le Roi de Nika Guliashvili un peu terne, de telle sorte que c’est le Ramfis d’In-Sung Sim qui s’impose. Il faut également relever la présence réconfortante, dans les petits rôles de la Prêtresse et du Messager, de deux figures du chant français, Sophie Marin-Degor et Luca Lombardo. Enfin, le chœur fait plutôt bonne impression, en particulier les femmes.
Le cadre comme le livret et les aspirations des spectateurs plaident pour du grand spectacle: sans être pharaonique, la production ne déçoit pas de ce point de vue, avec ces immenses colonnes et cette statue qui se déplacent pour suggérer différents édifices, ces costumes nombreux et soignés, ces danseurs (dans une chorégraphie très rythmée de Laurence Fanon) et figurants, ces arbustes, ces gigantesques oriflammes et ces flambeaux. La scénographie de Jérôme Bourdin reste narrative et descriptive, mais sans faute de goût et avec une parfaite efficacité. Tout à fait lisible, la mise en scène de Jean-Christophe Mast tend à immobiliser les chanteurs face au public, mais cela ne diffère guère, à vrai dire, de ce qu’on voit trop souvent ailleurs.
On allait oublier le dernier facteur du plein air: la météorologie. Le 14 août, quelques gouttes, à l’entracte, ne parviennent pas à inquiéter grandement, mais la pluie empêchera finalement la représentation d’aller au-delà du duo entre Aïda et Radamès au troisième acte. Un dépit et une frustration véritables en cette fin de festival, pour les organisateurs comme pour le public, mais qui ne doivent pas faire oublier l’essentiel: il se produit à Sanxay quelque chose d’assez unique en France. D’une part, l’opéra (re)devient une fête populaire et familiale, où personne ne se sent exclu, quitte à photographier ou à filmer un peu trop abondamment pendant le spectacle, et où l’on vient passer une bonne soirée, à l’image de ces stands proposant durant l’entracte de multiples réconforts solides et liquides. D’autre part, même si la comparaison avec les institutions d’opéra, à supposer qu’elle ait un sens, n’est pas favorable dans l’absolu, même si le sous-titrage fait des siennes durant une moitié du premier acte, même si les sièges des gradins sont vraiment très serrés (sans doute pour se tenir chaud dans ces nuits plutôt fraîches), même si une alarme de voiture se déclenche au loin, le plus grand nombre peut découvrir ici l’art lyrique et s’en faire une idée assez fidèle. Vu ce que sont aujourd’hui la culture et les politiques culturelles dans ce pays, c’est déjà tout à fait considérable.
Le site des Soirées lyriques de Sanxay
Simon Corley
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