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Art et sorcellerie Biarritz
Espace Bellevue
08/07/2019 -
Franz Schubert : Moments musicaux, D. 780
Serge Rachmaninov : Morceaux de fantaisie, opus 3: 2. Prélude en ut dièse mineur & 5. Sérénade – Préludes, opus 23: 10. en sol bémol majeur – Préludes, opus 32: 10. en si mineur – Douze Mélodies, opus 21: 7. «C’est beau ici» (arrangement Volodos) – Etudes-Tableaux, opus 33: 3. en ut mineur
Alexandre Scriabine : Neuf Mazurkas, opus 25: 3. en mi mineur – Deux Morceaux, opus 57: 2. «Caresse dansée» – Trois Morceaux, opus 52: 2. «Enigme» – Deux Danses, opus 73 – Vers la flamme, opus 72
Arcadi Volodos (piano)
Pour clore la dixième édition de son «Biarritz Piano Festival», Thomas Valverde avait invité l’un des pianistes qu’il admire le plus et à juste titre un des plus recherché du moment, le Russe Arcadi Volodos. Soirée mémorable!
On a beau entendre une centaine de récitals de piano par an, en éprouver un plaisir constant et toujours intact aiguillonné par la curiosité et la recherche du miraculeux, il n’arrive, probablement pas plus de deux ou trois fois dans une vie d’auditeur, que le miracle se produise sous forme d’une soirée qui transforme à jamais cette recherche et, pour le meilleur ou pour le pire, déplace toujours plus haut la barre des expectatives.
A. Volodos (© Polina Jourdain-Kobycheva)
Disons tout net qu’après avoir écouté religieusement ce programme qu’Arcadi Volodos donne cette année dans le monde entier (deux fois à Paris cette saison – au Théâtre des Champs-Elysées puis à la Philharmonie pour remplacer Radu Lupu –, à Verbier, Salzbourg, etc...), et pourquoi pas, puisqu’il l’a conçu comme une entité parfaite à ses yeux et à son goût, il sera plus difficile de s’enthousiasmer pour des pianistes au style plus commercial, à la sonorité plus clinquante, à la virtuosité débraillée, bref de louvoyer dans l’immense vivier d’instrumentistes qu’offre aujourd’hui le marché du concert. Heureusement, la curiosité est un bienfaisant défaut et le renouvellement constant du vivier apporte régulièrement de grandes surprises! A Moscou, Lucas Debargue hier, Alexandre Kantorow aujourd’hui, sont nos espoirs pour demain. Arriveront-ils au niveau d’excellence de ce récital d’Arcadi Volodos? On le souhaite ardemment... Seul Claudio Arrau (au siècle dernier...), pour ne parler que de la sonorité et de la musicalité (la virtuosité et le contrôle de l’instrument à ce niveau vont de soi), nous avait donné cette sensation de magie du son, puissant mais flexible sans force ni brutalité, coloré sans nuances criardes, mais surtout cet art hypnotisant qui n’est pas le contraire de la sorcellerie de donner l’illusion à l’auditeur que son oreille n’a pas de limite et qu’elle est apte à palper littéralement la moindre nuance pppp, la plus faible dynamique qui transforme une phrase musicale en bonheur.
On a eu l’illusion il y a quelques années, quand Grigory Sokolov est sorti d’un relatif purgatoire qui le tenait à distance des grandes scènes occidentales, que ce miracle du toucher pianistique magique qui avait fait la réputation d’un Rachmaninov puis d’un Horowitz se réincarnait dans les doigts de ce pianiste russe à l’allure sur scène un peu étrange. Volodos va plus loin car chez lui, aucun artifice n’accompagne ce qui paraît miraculeux dans le phrasé ou la sonorité, aucun autre effet n’est recherché que la pureté de la note, du trait, de l’harmonie, rien ne le tient à distance, comme parfois chez Sokolov, du geste musical.
On pourrait trouver mille exemples dans ce programme maintes fois commenté et dont le parfait équilibre avec des œuvres de trois compositeurs, Schubert, Rachmaninov et Scriabine, qui se complètent parfaitement dans leurs recherches singulières d’absolu, dans leurs douleurs et leurs folies. Tout au plus a-t-on trouvé inutile de faire précéder (hors programme) les Moments musicaux de Schubert, six bijoux à qui Volodos donne une résonance tragique par une sonate de jeunesse inachevée (D. 157, en mi majeur) de style classique haydnien, surchargeant la première partie d’un contraste qui ne s’imposait pas. Les six pièces de Rachmaninov étaient choisies avec un soin, une élégance et un art infinis, couronnées par l’admirable Etude-tableau en do mineur, comme pour donner tort aux détracteurs du compositeur. Le récital culminait avec Vers la flamme (précédée de cinq pièces de pure sorcellerie) enrichissant le mysticisme exacerbé du chef-d’œuvre de Scriabine d’une démonstration harmonique magistrale de ce que peut donner de plus extraordinaire un piano maîtrisé (et préparé à cet effet) afin qu’aucun son ne puisse être qualifié de brutal ou clinquant. Le recueillement dans la salle Bellevue, ancien casino, avec une vue à 360° sur l’océan, le piano étant situé sur une estrade surplombant les spectateurs en cercle, atteignait une intensité rarement constatée dans les salles de concert des capitales du monde.
Volodos a conclu généreusement avec trois bis, pas une troisième partie en forme de cirque qu’affectionne Sokolov, mais encore une fois trois petits miracles tenant l’oreille en haleine et prolongeant sans volonté d’effet d’aucune sorte le plaisir de l’auditeur. Deux Menuets de Schubert (D. 600 et D. 610) d’une originalité totale et la planante transcription par Bach de la Sicilienne du Concerto en ré mineur de Vivaldi permettaient à ceux qui ne l’avaient encore fait de rendre les armes devant l’évidence d’un tel génie.
Olivier Brunel
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