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Anna jour et nuit

Baden-Baden
Festspielhaus
07/14/2019 -  
Mélodies, lieder et airs d’opéra de Rachmaninov, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Richard Strauss, Dvorák, Offenbach, Debussy, Charpentier, Fauré, Bridge, Moore, Leoncavallo et Puccini
Anna Netrebko (soprano), Elena Maximova (mezzo-soprano), Giovanni Andrea Zanon (violon), Malcolm Martineau (piano)


(© Andrea Kremper)


Cet ultime concert de la saison 2018/2019 de Baden-Baden vient clôturer des festivités d’été à généreuse dominante russe, assurées pour l’essentiel par Valery Gergiev et le Théâtre Mariinsky en tournée. Cette fois pourtant il s’agit d’un concert a priori plus intimiste, mais comme Anna Netrebko s’est déplacée, le Festspielhaus connaît l’affluence des grands soirs. Tout est garni, jusqu’aux plus hautes rangées du second balcon et aux places debout. Un public plutôt motivé, qui écoute attentivement ce récital de mélodies avec piano en apparence conventionnel, que la diva va cependant nous arranger d’une façon très opératique.


Au centre de la scène, Malcolm Martineau, toujours aussi imperturbablement parfait et fiable, reste évidemment statique derrière son instrument. En revanche Anna Netrebko se déplace beaucoup de droite et de gauche, en investissant tout l’espace disponible. De toute façon, la diva sait que son partenaire ne la lâchera pas, y compris quand elle perd tout contact visuel avec lui, voire passe carrément derrière lui pour chanter en posant familièrement les mains sur ses épaules (de petits moments de complicité affective sans doute, mais aussi un stratagème efficace pour lire, directement sur le pupitre du piano, les partitions qu’elle n’a pas eu le temps d’apprendre par cœur). On sent la diva préoccupée de ne pas rester guindée, voire au contraire de se mettre elle-même en scène dans une succession de pièces dont l’ordre paraît soigneusement prémédité. Dans ce programme intitulé «Jour et nuit», on la voit donc paraître d’abord dans une vaporeuse robe rose couleur d’aurore, les bras chargés de fleurs blanches... On l’aura deviné, cette première partie sera plutôt diurne, voire florale pour les premières mélodies, chantées à proximité immédiate de l’un des énormes bouquets qui décorent la scène (apparemment Netrebko n’est pas allergique aux pollens : aucun éternuement intempestif à déplorer !). Autre jolie intention, toujours afin de varier les atmosphères : inviter un tout jeune violoniste à jouer la ligne mélodique initiale de Morgen de Richard Strauss, comme dans la version orchestrale. Un honneur qui échoit à Giovanni Andrea Zanon : la vingtaine à peine, un long passé d’enfant prodige, une sonorité encore un peu ténue, mais apparemment les atouts d’un fin musicien en devenir.



(© Andrea Kremper)


Attention les yeux après l’entracte. Thématique nocturne cette fois, et là Anna Netrebko sort le grand jeu. Une robe extravagante qui ne déparerait pas une Reine de la Nuit, dans une mise en scène de La Flûte enchantée ultra-kitsch : constellations argentées sur tulle sombre, col diagonal hérissé de volutes grillagées... Et de surcroît bras-dessus bras-dessous avec la mezzo Elena Maximova, en robe brillante à paillettes grises, les deux tenant au bout d’un long fil un ballon argenté gonflé à l’hélium. Succès fracassant ! Un peu plus tard, lâché au bon moment, dans une mélodie où il est question, évidemment, d’étoiles, le ballon finira dans les cintres. Mais heureusement, Elena Maximova n’est pas là que pour jouer les faire-valoir à paillettes. Prestation courte mais de grande qualité : deux duos, l’un extrait de La Dame de pique de Tchaïkovski, et l’autre des Contes d’Hoffmann d’Offenbach (l’incontournable Barcarolle), où les deux voix, l’une et l’autre d’une typologie russe évidente mais jamais caricaturale, se marient superbement.


Voilà pour l’aspect « gala » de la chose, qui paraît ravir le public. Avouons qu’au-delà même d’un mauvais goût carnavalesque vaguement monstrueux à certains moments, l’intention nous paraît touchante voire louable. Anna Netrebko est en ce sens une vraie diva, une star à piédestal mais qui sait aussi briser la glace, se rendre attachante, voire faire mouche en tablant avec un relatif calcul sur la naïveté désarmante de certaines de ses attitudes. Pendant ce généreux récital, on ne peut s’empêcher de se remémorer nos souvenirs de ceux de la regrettée Montserrat Caballé : un apprêt vocal totalement sidérant mais aussi une simplicité, une complicité, une gentillesse évidentes, dès l’entrée en scène. Ni l’une ni l’autre avec quoi que ce soit de préméditation intellectuelle, certes, mais peu importe...


On s’aperçoit que jusqu’ici on a peu parlé musique, et pourtant, ce récital déborde de somptueux moments. Dans le domaine de la mélodie russe, Netrebko nous paraît avoir considérablement approfondi son approche, avec des Tchaïkovski et surtout des Rachmaninov de toute beauté. Malgré le volume conséquent de la voix, le format adéquat est trouvé d’emblée, et l’opulence du timbre se révèle totalement enivrante. Mais on relève aussi des Richard Strauss beaucoup plus compétitifs que naguère, même si la prononciation allemande reste assez mollement globale, ou encore une incontournable Mélodie tzigane (opus 55 n° 4) de Dvorák, suave à vous faire fondre sur place. Et puis aussi de vrais moments d’audace : oser se frotter encore à ce stade de sa carrière au « Depuis le jour » de la Louise de Charpentier et y sortir sans aucun vrai problème de crispation des aigus juvéniles, suspendus dans une juste nuance piano, ou encore s’engager en bis, tête baissée, dans un volubile Bacio d’Arditi, sans écorner la moindre vocalise et avec toujours des réserves de souffle dignes d’un athlète de haut niveau. Chapeau ! Même le répertoire le plus vétilleusement français (Fauré, Debussy), ne paraît ni anémique ni ridicule. Pour ce qui est de certaines « niches », il est difficile de ne pas voir là l’influence de Malcom Martineau, inépuisable connaisseur du répertoire, mais les pièces sont toujours proposées à bon escient : Frank Bridge, Douglas Moore... de jolies découvertes. Et on garde pour la bonne bouche l’autre bis : « Il mio babbino caro » du Gianni Schicchi de Puccini, avec son aigu final tenu, tenu, tenu... pendant que l’accompagnateur se croise quasiment les bras en attendant que la soprano ait fini d’épuiser sa colonne d’air. Là encore un peu de cirque, mais la performance est substantielle. Enorme succès, auquel il serait vraiment injuste de ne pas associer Malcolm Martineau, qui pourtant au cours de sa longue carrière en a vu défiler tant et plus, des dive et des divi, mais dont la fraîcheur et la musicalité paraissent intacts comme au premier jour.



Laurent Barthel

 

 

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