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Etre un homme libéré, tu sais c’est pas si facile Bregenz Festspielhaus 07/18/2019 - et 21*, 29 juillet 2019 Jules Massenet : Don Quichotte Gábor Bretz (Don Quichotte), David Stout (Sancho Pança), Anna Goryachova (Dulcinée), Léonie Renaud (Pedro), Vera Maria Bitter (Garcias), Paul Schweinester (Rodriguez), Patrik Reiter (Juan)
Prager Philharmonischer Chor, Lukás Vasilek (préparation), Wiener Symphoniker, Daniel Cohen (direction musicale)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors et costumes), Ulrik Gad (lumières), Ran Arthur Braun (réglage des combats), Olaf A. Schmitt (dramaturgie)
(© Bregenzer Festspiele/Karl Forster)
Eté après été, le Festival de Bregenz propose non seulement des productions spectaculaires sur le lac de Constance – Rigoletto cette année – mais aussi un titre rare dans le Festspielhaus attenant. C’est Don Quichotte de Jules Massenet qui est à l’honneur pour l’édition 2019. Avant le lever de rideau, une publicité pour une célèbre marque de rasoirs est projetée sur un grand écran déployé au-dessus du plateau. On y voit des hommes, jeunes et moins jeunes, faisant des grillades, buvant de la bière ou regardant passer des femmes dans la rue. Des scènes de la masculinité d’aujourd’hui, vue par la lorgnette réductrice du marketing. Les spectateurs sont interloqués : la publicité va-t-elle désormais envahir les salles de concert, comme elle s’est immiscée il y a longtemps déjà dans les cinémas ? Un homme outré se lève pour dénoncer bruyamment le procédé (on comprend par la suite qu’il s’agit d’un figurant et que le spectacle vient de commencer), rejoint bientôt par un autre. A l’autre bout de la salle, un double de Don Quichotte tel qu’on l’imagine, avec une longue barbe blanche, un casque et une armure, invite les deux spectateurs-figurants à monter sur scène avec lui et à s’asseoir pour assister à une représentation de Don Quichotte.
Sur la scène installée sur le plateau (le théâtre dans le théâtre) débute alors le premier acte de l’opéra, dans des costumes traditionnels et avec des décors en toiles peintes. Changement complet de décor pour le deuxième acte, qui se déroule dans une salle de bains à notre époque : on y voit Don Quichotte en train de se raser et son fidèle Sancho Pança le nez rivé sur son clavier. Armé de la cuvette des WC et d’une brosse, Don Quichotte va s’attaquer à des ventilateurs géants qui le gênent, les célèbres moulins à vent de l’ouvrage de Cervantes. Nouveau changement de décor pour le troisième acte : devant un grand mur de pierres recouvert de graffitis, Don Quichotte, habillé en Spiderman, croise une bande de loubards qui finissent par le molester. Après l’entracte, le quatrième acte a lieu dans un grand bureau moderne, où Don Quichotte devient la risée de ses collègues pour avoir voulu offrir des perles à sa chef, Dulcinée. La boucle se referme avec le cinquième et dernier acte : Don Quichotte se retrouve en casque et armure sur la même scène qu’au premier acte, avec Sancho Pança à ses côtés. Dulcinée, assise dans un fauteuil, regarde les deux hommes avant de descendre du plateau et de se retrouver dans la salle à la mort de Don Quichotte. Avec ces différentes scènes très hétérogènes, la réalisatrice du spectacle, Mariame Clément, a voulu s’interroger sur la masculinité aujourd’hui : qu’est-ce qu’être un homme au XXIe siècle ? Venant d’une femme, la réflexion prend une tournure particulière. Quoi qu’il en soit, le propos, au demeurant intelligent et cohérent, a divisé les spectateurs.
La partie vocale et musicale de la production a, elle, fait l’unanimité. Daniel Cohen déploie des trésors de sensibilité pour diriger l’Orchestre symphonique de Vienne, exaltant toute la finesse et la délicatesse de la partition impressionniste de Massenet ; les musiciens répondent comme un seul homme. Malgré son jeune âge, le baryton hongrois Gábor Bretz a la voix idéale pour incarner le chevalier à la triste figure, une voix qui marie à la fois nostalgie et tristesse lorsqu’elle exprime l’amour éperdu que le héros éprouve pour Dulcinée, mais qui sait aussi se faire impétueuse quand Don Quichotte doit affronter les obstacles qui se dressent sur sa route. David Stout campe avec beaucoup d’humour un Sancho Pança truculent et bon enfant, mais toujours fidèle et loyal à son maître. Dulcinée a les traits fins et la voix grave et corsée d’Anna Goryachova. Le Festspielhaus a fait le plein pour cette représentation de Don Quichotte, signe de la curiosité d’un public avide de découverte. Claudio Poloni
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