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Pour happy few Verbier Eglise 07/20/2019 - Alban Berg : Sonate pour piano, opus 1
Serge Prokofiev : Sarcasmes, opus 17
Béla Bartók : Szabadban, Sz. 81
Aaron Copland : Variations
Olivier Messiaen : Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus : 15. «Le Baiser de l’Enfant-Jésus»
György Ligeti : Musica ricercata (extraits)
Karlheinz Stockhausen : Klavierstück IX, n° 4
John Adams : China Gates
John Corigliano : Fantasia on an Ostinato Daniil Trifonov (piano)
D. Trifonov (© Nicolas Brodard)
Daniil Trifonov, désormais invité régulier du Festival de Verbier, vient de donner le récital le plus déroutant par son programme et le plus extraordinaire par son interprétation, véritable mosaïque d’œuvres du XXe siècle. Mosaïque certes, mais avec un fil conducteur, un fil rouge ni chronologique, ni thématique mais demandant au public une concentration extrême presque aussi intense que celle dépensée en eau et en sang par cet artiste dans une soirée qui tenait plus du spiritisme que du récital.
L’an dernier, Trifonov qui, au début de sa fulgurante ascension après son Premier Prix Tchaïkovski en 2011, a donné au public autant de Chopin, Mozart et Rachmaninov qu’il voulait en entendre, a commencé à surprendre avec un programme tricoté autour de Chopin qui convoquait des compositeurs satellites comme Schumann, Tchaïkovski, Rachmaninov et même très marginaux comme Mompou et Barber. Cette année, il a dérouté, allant de Berg à Cage, avec les étapes que l’on verra. Au risque de faire déserter à l’entracte une partie du public peu enclin à le suivre dans ces chemins-là.
S’ouvrant sur la Sonate de Berg jouée avec un lyrisme et une chaleur qui sont des options possibles pour cette œuvre fascinante, on est vite passé aux grincements des Sarcasmes de Prokofiev et au Bartók le plus rythmique de la suite En plein air. Le tout enchaîné sans interruption, il est vrai une option très déroutante pour le public traditionnel habitué à se déconcentrer à la moindre occasion, parfois même applaudissant au milieu d’une œuvre. Un programme que n’aurait pas désavoué Sviatoslav Richter, joué tout comme lui nez dans les partitions et avec une formidable palette d’émotions, de couleurs et de nuances. Avouons que l’on a un peu quitté l’idée du fil rouge pendant les laborieuses et très arides Variations de Copland pour raccrocher avec l’un des plus tendres, subtils, étranges même, «Baiser de l’Enfant-Jésus» de Messiaen joué avec les pianissimi les plus impalpables.
Et c’est devant une salle un peu clairsemée mais véritablement concentrée que Daniil Trifonov a joué la partie la plus moderne de ce fascinant programme. Les très énergiques quatre pièces de Musica ricercata de Ligeti s’enchaînaient difficilement à notre humble avis au rude Klavierstück IX de Stockhausen. Puis un atterrissage très en douceur avec le solo minimaliste China Gates d’Adams et la découverte pour beaucoup de la magnifique Fantasia sur un ostinato de Corigliano, bel hommage aux deux compositeurs encore actifs de ce parcours d’un siècle de musique.
Pour finir et achever de dérouter un public auquel ce récital a certainement perturbé à jamais ses habitudes d’écoute, Daniil Trifonov s’est offert le luxe d’un repos bien mérité en «jouant» comme bis le 4’33’’... de silence de John Cage. Pour happy few, assurément!
Olivier Brunel
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