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Chef version 2.0 ? Freiburg Konzerthaus 06/30/2019 - et 20 (Köln), 21 (Hamburg), 23 (Mannheim), 27, 28 (Stuttgart) juin, 26 juillet (Salzburg) 2019 Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 7 « Léningrad », opus 60 SWR Symphonieorchester, Teodor Currentzis (direction)
T. Currentzis
Depuis le malencontreux processus de fusion des orchestres du SWR de Baden-Baden et du SWR de Stutgart (voir ici et ici), et surtout le désastreux concert inaugural de la formation ainsi agglomérée, on n’avait plus remis les pieds au Konzerthaus de Freiburg, en jugeant qu’il n’y avait plus trop d’intérêt à s’y déplacer, du moins jusqu’à que tout cela sédimente un peu. Depuis le début de cette saison, l’orchestre a son premier directeur musical en titre, en l’occurrence Teodor Currentzis, auquel on a proposé le poste avec l’évidente intention de faire bouger les lignes voire carrément les bousculer. Après quelques concerts ensemble (pas énormément, Currentzis restant attaché principalement à Perm, avec MusicAeterna), cette Septième Symphonie de Chostakovitch paraissait une bonne occasion pour juger de l’état actuel de cet improbable et mastodontique Orchestre symphonique du SWR (un melting-pot où on a précipité d’autorité tous les musiciens ensemble, en attendant que les départs progressifs, volontaires ou en retraite, ramènent l’effectif à des valeurs plus normales pour une formation symphonique).
Première surprise, surtout en comparant le présent concert au chaotique programme inaugural de septembre 2016, l’orchestre paraît redevenu d’une fiabilité remarquable. Peut-être est-ce l’effectif énorme réuni dans cette symphonie qui sécurise les musiciens en les soudant en vastes blocs, mais pas le moindre accident n’est à déplorer (et pourtant il fait 40° à l’ombre dehors et les conditions d’hygrométrie et de température sont des plus favorables aux couacs, surtout du côté des cuivres). Le problème, en revanche, est qu’on aura passé tout le concert à tenter de trouver un semblant de personnalité à un orchestre qui n’en a aucune. Les pupitres sont homogènes mais rien ne vit ni ne frémit. En comparaison avec nos souvenirs encore vivaces du défunt Orchestre du SWR de Baden-Baden et Fribourg, dont les cordes sonnaient avec une musicalité si merveilleusement sensible et intelligente, il n’y a plus rien à écouter qu’un gros son compact, dense, fermement tenu mais sans identité perceptible. Somme toute aujourd’hui cet orchestre est devenu celui d’un SWR de nulle part, une sorte d’abstraction. Mais peut-être cette Symphonie « Léningrad » n’est-elle pas le terrain le plus significatif pour en juger, au vu du gigantisme des effectifs alignés (une armada de cordes dont dix-huit premiers violons, six trombones, sept trompettes, huit cors...). En tout cas, l’avantage financier évident de cet orchestre fusionné est qu’il n’y a vraiment aucun supplémentaire à engager, même pour jouer des symphonies qui requièrent un surpeuplement extrême.
Qu’apporte le turbulent Teodor Currentzis à ces musiciens ? Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais on ressent déjà les effets fédérateurs d’un esprit manifestement fort. L’emprise est évidente, même si on peut trouver que du côté du chef il se passe des choses franchement bizarres, en matière de tenue du corps et de gestique, voire de grimaces. Rien de gratuit toutefois dans ces contorsions, qui atteignent manifestement leur but. Rarement Chostakovitch nous aura paru sonner à ce point tendu, au sens d’une véritable traction élastique imposée au texte musical. Currentzis tient tous les câbles en main et stimule vraiment ses musiciens comme des marionnettes, au point d’ailleurs de les obliger souvent à se lever au cours du concert, soit par pupitres séparés soit même tous ensemble (ou du moins tous ceux dont l’instrument autorise la station debout). A certains moments, surtout pour les cuivres, l’effet est pertinent, à d’autres il paraît sinon ridicule (on n’est pas loin d’une ola dans un stade de football) du moins inopérant (en particulier pour les violons, qui à notre avis ne sont en rien valorisés par la position debout : ça ne sonne ni plus fort ni plus soudé, au contraire quand tous les violons et altos se lèvent le son semble lui aussi monter d’un étage et devenir plus flou). Pour autant, du fait du manque d’individualité de l’orchestre, on ne découvre pas vraiment un Chostakovitch âpre et torturé, mais plutôt une juxtaposition de volumes disparates qui vont du pianissimo le plus impalpable (là le chef est quasiment assis par terre) jusqu’au déchaînement le plus cataclysmique (là le chef est en pleine transe sur son podium et on résiste tout juste à la tentation de se boucher les oreilles). Le fameux crescendo sur rythme de caisse claire du premier mouvement est évidemment l’attraction principale du concert (court, avec juste cette symphonie au programme, mais on sort de là tellement essoré que c’est franchement bien assez). On apprécie aussi la plupart des solos instrumentaux, très bien phrasés, toujours sous l’emprise totale du chef, l’ensemble n’échappant cependant pas un certain décousu voire parfois à un rien d’ennui. En fait, on ne comprend pas bien où Currentzis veut nous mener : juste nous faire vibrer par des décharges d’énergie pure, à la façon d’un concert de heavy metal ? Ou nous raconter quelque chose de déchiffrable sur Chostakovitch et le contexte historique et humain particulier de cette symphonie (en ce cas, c’est plutôt raté).
Accueil délirant à la fin (cette fois c’est toute la salle qui se lève). On notera aussi que le Konzerthaus de Fribourg est plein à craquer, et que le public, totalement exubérant, paraît nettement rajeuni. Là aussi un « effet Currentzis » ? En tout cas, après ce concert totalement fou, une envie certaine de revenir écouter le phénomène risque de s’installer, la saison 2019/2020 annonçant quelques concerts badois susceptibles à nouveau de réactions chimiques particulières: les Première, Neuvième et Dixième de Mahler, Mort et transfiguration de Strauss, un peu de Kurtág et de Chostakovitch (très peu de programmes différents, en tout cas pas vraiment assez pour passer pour un directeur musical assidu). Disons que si pour l’instant Currentzis ne nous convainc pas encore dans son nouvel emploi, assurément il nous épate, et l’affaire est à suivre.
Laurent Barthel
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