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Le concert mimolette, ou : du côté des Hollandais non volants

Toulouse
Halle aux Grains
11/20/2001 -  
" Les Pays-Bas " :
Henk Badings : Largo et Allegro, Symphonie n° 9, Sérénade
Marius Flothuis : Espressioni cordiali, Sei bagatelle per orchestra a corde opus 63, Capriccio opus 35 n° 2, Cantus amoris opus 78
Jan Van Dijk : Fancy, Trois pièces pour cordes, Toccata

Orchestre National de Chambre de Toulouse, Alain Moglia (direction)



Pour les béotiens que nous sommes, pauvres Français, les Pays-Bas sont avant tout synonymes de fromages onctueux, de champs infinis de tulipes, de moulins à vent qui se dressent à perte de vue, défiant quelque téméraire Don Quichotte. Certes, malgré ces a priori simplistes, l'on se dit que nos voisins européens disposent tout de même d'un orchestre somptueux, le célèbre Concertgebouw de Bernard Haitink, d'un passé foisonnant ; et de toute une flopée de peintres renommés, dont peut à juste titre s'enorgueillir la culture néerlandaise.


Mais là où le (pays) bât blesse, c'est que l'on s'imagine, un brin condescendant - et un peu hâtivement, également par une arrogance typiquement gauloise -, que ce pays merveilleux bordé par la Mer du Nord est dépourvu de compositeurs. Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Grâce à Alain Moglia, généreux Don Quichotte humaniste, citoyen du monde, animé de cette flamme découvreuse toujours intense, nous sommes conviés, fort courtoisement d'ailleurs, à arpenter les steppes de notre ignorance. Une petite leçon d'humilité au mélomane français - nombriliste incapable de défendre, en sus de son déjà propre patrimoine, celui des autres cultures - s'avère parfois salutaire.


Cette mise au point étant faite, place à la musique. Les compositeurs hollandais sont bien là ; et selon les propos d'Alain Moglia lui-même, cette soirée a permis de découvrir d'authentiques trésors cachés sommeillant injustement dans les limbes de l'oubli. Trois créateurs se sont partagé la vedette. Or, si les pièces de Jan Van Dijk (né en 1918) ont paru en retrait, peu imaginatives, presque ternes - un néo-baroquisme frelaté à la structure thématique faible -; en revanche, une révélation s'est clairement imposée : Henk Badings (1907-1987). Il concilie suprême originalité, inventivité harmonique et science architecturale des plus élaborées.


Aux côtés des Génies établis du XX° siècle - Enesco, Bartok, Schönberg, Stravinsky, Webern - Badings doit retrouver au plus vite une place légitime. En effet, il a instauré une complexe armature sonore, édifiée à partir de la gamme de trente-et-un sons conçue par le physicien hollandais Fokker. D'où une orchestration difficile à analyser d'une part, puis à rattacher à une quelconque descendance, plus ou moins lointaine d'autre part. Ce n'est pas un vulgaire épigone, encore moins un banal suiveur, pas davantage un copiste servile. Badings est un "cas". Un phare isolé, le capitaine Nemo de la musique. On peut à la rigueur le rapprocher d'un autre chercheur - tchèque, lui - Aloïs Haba (1893-1973), expérimentant la gamme en quarts de tons.


Attention, le premier n'a en aucune façon écrit une stérile musiquette de laboratoire qui tournerait à vide. L'émotion est au rendez-vous, en dépit de la sophistication du procédé d'écriture (un ton, un demi-ton, un ton, un demi-ton, etc). La Neuvième Symphonie, exigeante, confine au pur moment d'anthologie, et conduit à un paroxysme éblouissant. On affronte la superposition d'innombrables lignes mélodiques, desquelles surgissent des mélismes vaguement orientaux ; mosaïque d'éclats de cristaux ou de saphirs brisés, le tout inondé par une lumière solaire qui vient mourir sur chaque accord. Telle est l'impression qui se dégage de ce monument énigmatique. Quelques réminiscences inattendues des Danses Roumaines de Bartok ou des Suites d'orchestre d'Enesco en parsèment le tissu ; on songe curieusement (premier mouvement) à Bernard Hermann (musique de Psychose).


Mais la citation n'en est pas vraiment une. Tout comme dans la Sérénade - autre chef d'oeuvre - l'on croit entendre une bizarroïde déformation de l'un des thèmes du Freischütz (premier air d'Agathe) ! D'ailleurs, pour le plus grand plaisir de tous, le virevoltant mouvement final Giocoso sera bissé. Il serait ingrat d'occulter Marius Flothuis, dont l'impact est toutefois moindre, ainsi que son savoureux Capriccio dans lequel on décèle, à titre furtif, un motif rossinien savamment déformé. Le roi du concert reste assurément Henk Badings. Et l'on émet un double voeux : non seulement de le réentendre ; mais que s'installe une tradition interprétative pérenne de ces musiciens passionnants : quel extraordinaire vecteur de la consolidation d'une identité culturelle à l'échelle européenne !




Etienne Müller

 

 

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