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Un couplage pour le moins inattendu Frankfurt Bockenheimer Depot 06/15/2019 - et 17, 20, 22, 24*, 27, 29 juin 2019
Gian Carlo Menotti: The Medium Meredith Arwady (Madame Flora), Louise Alder (Monica), Marek Löcker (Toby), Barbara Zechmeister (Mrs. Gobineau), Dietrich Volle (Mr. Gobineau), Kelsey Lauritano (Mrs. Nolan)
Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Nikolai Petersen (direction musicale)
Hans Walter Richter (mise en scène), Kaspar Glarner (décors), Cornelia Schmidt (costumes), Jan Hartmann (lumières), Mareike Wink (dramaturgie)
Bruno Maderna: Satyricon
Peter Marsh (Trimalchio), Susanne Gritschneder (Fortunata), Theo Lebow (Habinnas), Ambur Braid (Scintilla), Karen Vuong (Criside), Mikolaj Trąbka (Eumolpus)
Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Simone Di Felice (direction musicale)
Nelly Danker (mise en scène), Kaspar Glarner (décors), Cornelia Schmidt (costumes), Jan Hartmann (lumières), Sami Bill (vidéo), Stephanie Schulze (dramaturgie)
M. Arwady et L. Alder dans Le Médium (© Barbara Aumüller)
En cette fin de saison, l’Opéra de Francfort propose un couplage pour le moins inattendu en réunissant deux contemporains d’origine italienne aux esthétiques en apparence opposées. Eloigné de l’avant-garde sérielle, Gian Carlo Menotti (1911-2007) obtint avec Le Médium son premier succès lyrique dès 1946, parvenant à une reconnaissance durable aux Etats-Unis, en tant que compositeur ou librettiste de son compagnon Samuel Barber. De son côté, Bruno Maderna (1920-1973) embrassa un parcours éclectique, entre soutien actif à la musique contemporaine européenne, dans le sillage de son mentor Hermann Scherchen, tout en menant une brillante carrière de chef d’orchestre, internationalement reconnu, ou encore de compositeur à ses heures perdues. Son ami Pierre Boulez n’a cependant pas manquer de railler sa curiosité pour tous les répertoires, qui lui fit précisément diriger, entre autres, la musique jugée passéiste de Menotti. Composé peu de temps avant son décès prématuré en 1973, son Satyricon partage avec Le Médium une musique foisonnante qui sait s’adapter aux différents climats pour obtenir une variété toujours excitante et imaginative. Si le langage de Maderna reste ancré dans la déclamation et une orchestration «bruitiste», il s’amuse également à incorporer de courts extraits d’ouvrages connus, dans la veine polystylistique d’un Schnittke.
La soirée prend place au Bockenheimer Depot (une salle équivalente aux Ateliers Berthier à Paris) autour d’une nouvelle disposition de l’orchestre, situé devant la scène, au centre. Contrairement à la salle principale de l’Opéra de Francfort, les surtitres en anglais sont ici absents, ce qui est gênant pour la seconde partie de soirée, tant certains passages hystériques du Satyricon n’avantagent pas la diction. Quoi qu’il en soit, le nouveau placement de l’orchestre permet de se sentir au cœur de la musique, tout en demandant cependant aux interprètes de s’imposer dans les passages les plus soutenus. C’est surtout vrai pour Louise Alder (Monica), qui dispose d’une belle projection lorsque la voix est bien posée, plus en délicatesse dans les accélérations. Elle compose une vibrante Monica au niveau théâtral, vivement applaudie à l’issue de la représentation, à l’instar de la superlative Flora de Meredith Arwady. Trop rare en Europe, le contralto américain nous régale de son timbre opulent et sonore, toujours au service de l’intention dramatique. Elle est ainsi parfaitement en phase avec les intentions de la mise en scène de Hans Walter Richter, qui accentue la violence autour de Toby, entre perversité et cruauté. Plus étonnant, Richter choisit de ne pas croire à l’amour de Monica pour le jeune muet, l’enfermant dans un cauchemar vivant des plus durs entre les deux tortionnaires. On est bien loin ici de la version plus nuancée découverte l’an passé à Berne dans la mise en scène d’Alexander Kreuselberg, qui faisait valoir une complicité entre les deux tourtereaux, alternant intermèdes comiques et poétiques, au moyen de la danse. Ici, le drame reste uniformément noir jusqu’au coup de théâtre final.
Satyricon (© Barbara Aumüller)
Changement d’atmosphère après l’entracte, avec une scène entièrement mise à nu, hormis une estrade et quelques accessoires peu à peu révélés, terrain de jeu d’une bande de joyeux drilles farfelus et délurés: trois jeunes danseurs efféminés, aux costumes extravagants, apportent un vent de folie tout du long, tandis que les chanteurs s’affairent. Avec cette mise en scène confiée cette fois à Nelly Danker, il se passe toujours quelque chose sur le plateau, en phase avec l’énergie foisonnante de la partition, précédée de quelques extraits sonores du fameux film homonyme de Fellini, sorti en 1969. Plusieurs traits d’humour sont opportunément distillés ici et là, telle la scène d’ombres chinoises qui fait croire à une vaste orgie en arrière-scène, avant de dévoiler les solistes en pleine séance de méditation. Tous les solistes sont à la hauteur de l’événement, particulièrement la Fortunata de Susanne Gritschneder, qui recueille, à l’instar de la troupe, une belle salve d’applaudissements à l’issue de la représentation. On notera enfin la direction attentive de Simone Di Felice, qui n’évite pas quelques décalages, tandis que Nikolai Petersen s’était montré plus heureux en ce domaine en début de soirée, avec toutefois une tendance par endroit à faire sonner trop fort son orchestre.
Florent Coudeyrat
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