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Un Don Giovanni pour rien Paris Palais Garnier 06/11/2019 - et 13*, 16, 19, 21, 24, 29 juin, 1er, 4, 7, 10, 13 juillet 2019 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 Etienne Dupuis (Don Giovanni), Ain Anger (Il Commendatore), Jacquelyn Wagner (Donna Anna), Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio), Nicole Car (Donna Elvira), Philippe Sly (Leporello), Mikhail Timoshenko (Masetto), Elsa Dreisig (Zerlina)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan*/Guillermo García Calvo (direction)
Ivo van Hove (mise en scène), Jan Versweyveld (décors, lumières), An D’Huys (costumes), Jan Vandenhouwe (dramaturgie)
E. Dupuis, E. Dreisig (© Charles Duprat/Opéra national de Paris)
Son Boris Godounov était un ratage. Son Don Giovanni n’est pas une réussite, de quoi s’interroger sérieusement sur sa vocation de metteur en scène lyrique. A Ivo van Hove le dramma giocoso mozartien, rien moins que giocoso d’ailleurs, n’a inspiré qu’une mise en scène sans rythme ni tension. Son Don est aussi médiocre que détestable, antihéros de notre temps – mais les mannequins de ses victimes, au moment du bal, nous rappelleront qu’il a sévi dans tous les temps. Pas du tout grand seigneur en tout cas, plutôt chef de gang, il assassine de sang froid un Commandeur sans défense après avoir mis la cité en coupe réglée. Une Séville de ciment ou de béton grisâtre, décor unique avec escaliers et arcades, rappelant plus ou moins Piranèse et Chirico, moche et grisâtre surtout, presque ville morte, néantisée par l’abuseur. Elle revivra après sa disparition, enfin libérée, à travers jardinières fleuries et séchoirs chargés de linge, image digne des séries TV de l’après-midi.
Cette scène finale sera la seule à prendre la mesure des choses, alors que trop de moments étaient tombés à plat – notamment le Cimetière. Ils trahissaient les lacunes d’une direction d’acteurs très inégale, tantôt affûtée, notamment ici ou là pour Anna et Ottavio, tantôt absente, esquissant à peine les personnages qu’elle abandonnait tristement à eux-mêmes. Le banquet ressuscite enfin le théâtre. Le décor labyrinthique, qui s’était depuis le début insensiblement resserré comme un étau, se referme et devient tombeau, dont les murs montrent la chute des damnés. Les rapports entre Don Giovanni et Leporello révèlent leur violence. Les vapeurs de l’enfer, qu’on avait vu vaguement surgir dès le début de l’œuvre, envahissent le plateau. Si le parti pris par Michael Haneke au milieu des tours de La Défense pouvait se contester, sa production avait une autre tenue et une autre force.
Il eût fallu que le chant sauve tout. La distribution de ce Don Giovanni n’est pas du niveau de l’Opéra de Paris, surtout pour un ouvrage aussi connu et aussi représenté. Etienne Dupuis peut se flatter d’un timbre superbe et d’une ligne stylée, mais offre une Sérénade sans séduction, au second couplet laborieusement détimbré, abuseur assez pâle, victime sans doute de ce qu’en fait la production. Peu mémorable en maître Philippe Sly à Aix, ne l’est pas davantage en serviteur, ou plutôt en double complice, révolver à la ceinture lui aussi, avec un Catalogue grossièrement chanté, aux ports de voix fâcheux – cela va certes un peu mieux au second acte, vocalement et scéniquement, peut-être parce que le metteur en scène le sort de l’ombre. Magnifique Tamino, Stanislas de Barbeyrac, dont la voix s’est beaucoup étoffée, peine à endosser le costume d’Ottavio: s’il a raison de lui enlever la poudre d’une certaine tradition, il arrive que la ligne hésite et que la vocalise patine. Superbe Commandeur d’Ain Anger en revanche, alors que Mikhail Timoshenko ne parvient guère à faire exister Masetto.
Les dames ne sont pas des modèles de chant mozartien, à l’exception d’Elsa Dreisig, Zerlina au phrasé parfait, qu’on pourrait seulement souhaiter plus enjôleuse. Mais Jacquelyn Wagner manque de volume, a l’aigu instable au début, échoue à faire de «Or sai chi l’onore» un vrai air de fureur, ne maîtrise pas les vocalises de «Non mi dir», rachetée ici ou là par quelques beaux aigus pianissimo. Honorable Micaëla à Bastille, la monolithique Nicole Car ne peut passer pour une Elvire, faute de noblesse et de souplesse de la ligne, et, comme Anna, d’agilité quand le chant devient orné – «Mi tradi» résiste mal. Bref, la grisaille est partout, sauf dans la direction de Philippe Jordan, qui fait oublier ses malheureux Troyens. Sans allumer un incendie, certes pas très giocosa elle non plus, sa direction ne manque ni d’énergie ni de couleurs ni de finesse et, surtout, avance sans temps mort, quitte à couvrir des chanteurs ne donnant que ce qu’ils peuvent. C’est la dernière production de la saison: elle s’achève bien tristement. Un Don Giovanni pour rien.
Didier van Moere
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