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Les surdoués en tournée Baden-Baden Festspielhaus 05/12/2019 - et 10 (Saarbrücken), 11 (Wiesbaden), 16 (Groningen), 17 (Köln), 18 (Braunschweig) 19 (Essen), 20 (Berlin) mai 2019 Andrey Rubtsov : Symphonie de chambre
Johann Sebastian Bach : Concerto pour deux violons en ré mineur, BWV 1043
Antonín Dvorák : Sérénade pour cordes en mi majeur, opus 22
Alfred Schnittke : Concerto grosso n° 1 pour deux violons et orchestre à cordes Augustin Hadelich (violon)
Academy of St Martin in the Fields, Julia Fischer (violon et direction) J. Fischer, A. Hadelich (© Uwe Arens/Paul Glickman)
On ne présente plus la violoniste allemande Julia Fischer, 35 ans, jeune femme blonde aux allures tranquilles de bonne élève bardée de compétences (sans doute la seule violoniste d’élite du moment à pouvoir tout aussi bien s’asseoir au piano pour jouer un grand concerto du répertoire romantique...). Pour cette tournée de l’Academy of St Martin in the Fields, on la retrouve cette fois à diriger l’orchestre, assise depuis son siège de Konzertmeisterin, vêtue d’une robe longue rouge qui crée un joli contraste visuel avec les autres musiciens de son pupitre. On n’oubliera pas non plus de signaler qu’elle est aussi une chambriste de renom, le plus souvent au violon mais parfois au piano, qu’elle est le leader d’un quatuor à cordes (avec Alexander Sitkovetsky, Nils Mönkemeyer et Benjamin Nyffenegger), qu’elle a aussi été la plus jeune professeur de conservatoire jamais nommée en Allemagne, à l’âge de 22 ans... Et enfin que son site internet, lui aussi très efficace, offre la possibilité, moyennant une adhésion au « Julia Fischer Club » pour la modique somme de 5 euros, d’écouter des enregistrements exclusifs.
Avec un profil aussi incroyablement varié, rien d’étonnant à ce que le Festspielhaus de Baden-Baden soit plutôt abondamment garni en cette fin de dimanche ensoleillé (en tout cas beaucoup plus de monde que pour les prestigieux Marc-André Hamelin et Quatuor Takács le matin même, mais ce sont là des profils de notoriété encore bien différents...). Le programme, pourtant, n’est pas si évident que cela, avec deux conséquentes œuvres « contemporaines ». Des guillemets qui s'imposent pour le Premier Concerto grosso de Schnittke, de quand même bientôt un demi-siècle d’âge, et bien davantage encore pour la Symphonie de chambre d’Andrey Rubtsov, œuvre certes écrite pour la présente tournée de l’Academy mais qui paraît sans âge. Rubtsov est compositeur et chef d’orchestre, avec lui aussi un profil de jeune musicien assez universellement doué (il a d’ailleurs déjà écrit un concerto pour Julia Fischer). Cela dit cette musique pour cordes aux agréables inflexions modales s’oublie, à quelques textures poétiques près, sensiblement aussi vite qu’on l’a écoutée. En comparaison, l’idiome grinçant de Schnittke paraît d’une toute autre modernité, tantôt tonal et diaboliquement décalé, tantôt plus franchement agressif, avec des frottements de cordes qui créent de superbes climats. Un matériau composite, issu d’ailleurs de plusieurs musiques de film antérieures, et collé en patchwork : du Schnittke « polystylistique » qui mange à tous les râteliers mais le fait avec brio. Julia Fischer s’y produit en compagnie du violoniste germano-américain Augustin Hadelich, aux antécédents d’adolescent prodige mais qui n’en est pas moins aujourd’hui, à 33 ans, un interprète tout à fait mûr, dont la ferme sonorité se marie très bien avec celle, un rien plus opulente, de sa partenaire. Par rapport au au tandem Kremer/Grindenko, créateur de l’œuvre, les propositions sont différentes, moins provocantes, plus intériorisées et respectueuses, mais le résultat convaincant.
Dans la Sérénade pour cordes de Dvorák (en alternance avec celle de Tchaikovsky, au cours de cette tournée de dix concerts en Allemagne), l’Academy of St Martin in the Fields, ou du moins ses cordes, paraît à son meilleur. Des sonorités à la fois généreuses et nuancées, qui donnent au différentes parties de cette œuvre à la fois du brio quand c’est nécessaire et beaucoup de demi-teintes agréables. Julia Fischer dirige discrètement l’ensemble, sans ostentation mais avec un véritable ascendant. Même impression d’agrément pour un Concerto pour deux violons de Bach qui s’écoule sans faire de vagues, mais sans tutoyer le sublime non plus dans le deuxième mouvement.
Laurent Barthel
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