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Un concert frustrant Paris Cité de la musique 06/07/2019 - Iannis Xenakis: Nomos Alpha – Lichens
Franck Bedrossian: Twist
Edgard Varèse: Poème électronique Eric Levionnois (violoncelle), Robin Meier (réalisation informatique musicale Ircam)
Orchestre philharmonique de Radio France, Brad Lubman (direction)
B. Lubman (© Peter Serling)
Exemple des plus rigoureux de la musique symbolique fondée sur la théorie des ensembles, Nomos Alpha (1965) de Iannis Xenakis (1922-2001) s’est imposé parmi les œuvres phares pour violoncelle seul de la décennie 1960, à mi-chemin entre la Sonate (1960) de Zimmermann et Pression (1969) de Lachenmann. La pièce, d’une redoutable difficulté d’exécution, nécessite une implication totale de l’interprète (son créateur fut le charismatique Siegfried Palm), lequel est amené à produire quarts de ton, glissandos rapides et autres pizzicatos rageurs quand il ne désaccorde pas, à plusieurs reprises, la quatrième corde vers le grave. Force est de constater que la déception est au rendez-vous. Loin d’offrir une alternative probante au sérialisme, les procédés mathématiques utilisés par le compositeur semblent ici substituer un arbitraire à une autre. Il faut bien mettre en cause Eric Levionnois, dont l’interprétation précautionneuse et appliquée se révèle fort ennuyeuse. Sans doute convient-il de s’y jeter à corps perdu... quitte à imprimer quelques torsions au texte musical.
On est davantage conquis par l’âpre Lichens (1983), pour grand orchestre. Typique du Xenakis de cette période en ce qu’elle recourt à la technique de l’arborescence, l’écriture promeut les sonorités massives et compactes, érige des murs de sons, façonne des blocs conflictuels. Si les percussionnistes et les vents rivalisent de virtuosité, les cordes, extrêmement sollicitées, pâtissent hélas d’un manque d’implication et de cohésion – on a même repéré des musiciens jouer avec vibrato, usage explicitement proscrit par le compositeur! Tenue décontractée (jean baskets) mais gestuelle de garde-barrière, le chef américain Brad Lubman conçoit la musique mesure par mesure au lieu de lui insuffler le nécessaire souffle vital. On se souvient d’un «Philhar’» autrement galvanisé en 1998 lors du festival Présences où fut brossé le portrait du musicien d’origine grecque. Retour à l’enregistrement enthousiasmant d’Arturo Tamayo et l’Orchestre philharmonique du Luxembourg (Timpani).
Le Poème électronique (1958) d’Edgard Varèse (1883-1965) porte bien ses soixante ans. Conçue pour le Pavillon Philips construit par Le Corbusier en vue de l’Exposition universelle de Bruxelles, la bande originale quatre pistes (montage de bruits de machines, cloches, piano, percussion, voix et sons électroniques purs) bénéficie de la projection spatialisée des ingénieurs du son Ircam. En regard des vingt minutes interminables de Nomos Alpha, ces huit minutes s’écoulent tel un rêve éveillé.
Mais la frustration est décidément au rendez-vous de ce concert avec la création française de Twist (2016). Non que maîtrise du matériau ne soit pas à la hauteur de la réputation de Franck Bedrossian (né en 1971), figure de proue du courant saturationniste dont l’évolution stylistique va dans le sens de la synthèse et d’une certaine dramaturgie, traduite ici par «le face-à-face attendu entre les univers acoustique et électronique» (Bedrossian). Mais la forme nous a paru étriquée et la progression avortée compte tenu du potentiel de départ dégagé par cette écriture d’une virtuosité grisante. Se détachent un arsenal de percussions riches en aluminium, d’envoûtantes polyphonies, de violents clusters et mixtures de timbres, dues notamment à la présence d’un «groupe de jazz», d’un accordéon et d’une guitare électrique. L’avenir nous dira s’il faut y voir une œuvre de transition vers une fusion plus apaisée des deux «univers».
Jérémie Bigorie
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