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Fin de bal à Genève Geneva Grand Théâtre 06/04/2019 - et 7*, 11, 13, 16, 19, 22 juin 2019 Giuseppe Verdi : Un ballo in maschera Ramón Vargas (Gustavo III), Franco Vassallo (Conte Anckarström), Irina Churilova (Amelia), Judit Kutasi (Ulrica), Kerstin Avemo (Oscar), Günes Gürle (Conte Ribbing), Grigory Shkarupa (Conte Horn), Nicolas Carré (Cristiano), Georgi Sredkov (Un servo d’Amelia), Nauzet Valerón (Il Primo Giudice)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Pinchas Steinberg (direction musicale)
Giancarlo del Monaco (mise en scène), Richard Peduzzi (décors), Gian Maurizio Fercioni (costumes), Caroline Champetier (lumières)
(© GTG/Carole Parodi)
La boucle est bouclée : dix ans après avoir pris les rênes du Grand Théâtre de Genève avec un opéra rare de Verdi – Simon Boccanegra –, Tobias Richter quitte son fauteuil de directeur avec un ouvrage à peine plus connu du maître de Busseto : Un bal masqué. Les deux spectacles sont à l’image de son mandat genevois : bien rodés et efficaces, mais sans éclat particulier et ne restant pas longtemps dans les mémoires. Sur le plan artistique, ces dix dernières années auront été essentiellement marquées par un Ring qui, en 2013, avait fait sensation par son style épuré et qui, reproposé en février 2019, a rouvert le Grand Théâtre rénové. Parmi les réussites incontestables de cette décennie, il faut citer aussi Wozzeck, Le Songe d’une nuit d’été, Il Giasone ou encore La Calisto. Le bilan est relativement maigre. A la décharge du directeur sortant, il faut reconnaître qu’il aura passé une grande partie de son temps à s’occuper de problèmes administratifs et financiers plutôt qu’artistiques. Il a dû notamment gérer la fermeture du Grand Théâtre pour permettre des travaux de rénovation, organiser le déplacement des activités dans une salle provisoire à la jauge et aux capacités techniques réduites et revoir entièrement la programmation de son ultime saison à la toute dernière minute en raison de la prolongation du chantier de rénovation, qui s’est terminé six mois plus tard que prévu. Heureusement que Tobias Richter a eu les nerfs et le cœur solides ! Qui plus est, les politiques genevois ont décidé, au beau milieu d’une saison, de réduire le budget du Grand Théâtre de 3 millions de francs, alors que la programmation avait déjà été bouclée depuis longtemps.
Un bal masqué, qui met un terme au mandat de Tobias Richter, n’a manifestement pas inspiré Giancarlo del Monaco, lequel signe une mise en scène se résumant à une simple mise en place, sans caractérisation des personnages ni idées fortes, à part peut-être le bal costumé de la fin de l’ouvrage, où les protagonistes portent tous des masques sans expression, sous lesquels les sentiments sont exacerbés au point d’aboutir à un dénouement sanglant. Les décors minimalistes élaborés par Richard Peduzzi (un immense rocher pour la scène d’Ulrica puis celle du gibet ainsi qu’un escalier et de hautes façades en bois qui glissent ou pivotent sur elles-mêmes pour le reste de l’ouvrage) pourront être facilement recyclés pour d’autres opéras. Heureusement que la partie musicale rachète cette indigence scénique. Dans la fosse, Pinchas Steinberg retrouve l’Orchestre de la Suisse Romande, dont il a été le directeur artistique. En admirable coloriste, le chef a l’art de conférer un ton différent à chaque scène et de marquer l’ouvrage par des contrastes saisissants, même si sa lecture peut parfois sembler lente et manquer quelque peu de tonus.
Le plateau vocal est dominé par la magnifique Amelia d’Irina Churilova. Malgré quelques soucis d’intonation, la chanteuse impressionne par son expressivité et ses moyens vocaux hors norme, qui lui permettent d’aborder la tessiture périlleuse du rôle. Face à elle, le Gustavo de Ramón Vargas paraît un peu tendu et crispé, même si le chant est noble et lumineux. En Comte Anckarström, Franco Vassallo séduit par son art du legato et ses accents impérieux, quand bien même le baryton a tendance à vociférer au lieu de nuancer. Judit Kutasi incarne une Ulrica au timbre sombre et imposant, mais jamais vraiment menaçant. Si la voix de Kerstin Avemo n’a pas l’envergure pour une salle comme celle du Grand Théâtre (on l’entend à peine au septième rang), les conjurés incarnés par Günes Gürle (Comte Ribbing) et Grigory Shkarupa (Comte Horn) arborent pour une fois toute la noirceur de leur personnage grâce à leur voix sonore. Pour terminer, on ne saurait passer sous silence la superbe prestation du chœur, une des constantes de l’ère Richter au Grand Théâtre. Une page se tourne à Genève. On attend désormais avec impatience l’arrivée du nouveau directeur, Aviel Cahn, qui ouvrira sa première saison avec Einstein on the Beach en septembre. Le changement de style s’annonce radical.
Claudio Poloni
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