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La Sérénade nostalgique Paris Levallois-Perret (Salle Ravel) 05/11/2019 - Erich Wolfgang Korngold : Die stumme Serenade, opus 36 Dania El Zein (Sylvia Lombardi), Olivier Bergeron (Andrea Coclé), Julie Goussot (Louise), Natalie Perez (Margherita), Justine Vultaggio (Emilie), Alexia Macbeth (Pauline), Olivier Gourdy (Sam), Louis Roullier (Caretto), Marco Angioloni (Premier ministre Lugarini)
Orchestre Opera fuoco, David Stern (direction musicale)
Olivier Dhénin (mise en scène, dramaturgie et scénographie), Anne Terrasse (lumières), Hélène Vergnes (costumes), Nina Pavlista (chorégraphie)
Un couturier enamouré vole un baiser à l’adorable fiancée de l’odieux Premier ministre de Naples après lui avoir chanté une sérénade qui n’a pas été entendue – d’où le titre de l’œuvre. On l’accuse également, à tort, d’avoir posé une bombe sous le lit du ministre. Assuré de la clémence royale, il avoue... mais le monarque meurt. Du moins pourra-t-il, avant d’être pendu, passer une soirée en compagnie de la belle... qui s’en éprend. Heureusement, une révolution renverse le ministre et lui confie le pouvoir, qu’il s’empresse de remettre au vrai poseur de la bombe, pour filer le parfait amour avec l’élue de son cœur.
Faut-il s’étonner qu’Erich Wolfgang Korngold, auteur d’une Ville morte composée à 23 ans et du Miracle d’Héliane, ait commis une telle pochade ? Que le luxuriant orchestre post-wagnérien fasse place à un ensemble de dix instruments ? Que cette Sérénade muette ressuscite l’opérette à la Lehár tout en lorgnant vers le musical et Kurt Weill, alors que les traces de la guerre, en ces années 1950, semblent indélébiles ? Oui et non. Dans les années 1920 et 1930, le Viennois avait « arrangé » des opérettes de Johann Strauss, à commencer par La Chauve-Souris... et La Belle Hélène d’Offenbach. L’exil à Hollywood l’avait détourné de ses racines et en avait fait un musicien de cinéma, qui recyclera d’ailleurs dans des œuvres « sérieuses » des éléments de ses musiques de film : Robin des bois, Capitaine Blood, L’Aigle des mers... c’est lui. La Sérénade muette est sans doute l’expression d’une nostalgie, comme ses dernières œuvres, tièdement accueillies parce qu’elles étaient d’un autre temps. Le monde de Korngold s’était effondré, il n’y avait plus de place pour cette tonalité très élargie, pour ce chromatisme exacerbé. Il n’y en avait pas non plus pour la simplicité délicieusement surannée de la pétillante Sérénade et de ses valse ou tangos chaloupés, créée à la Radio de Vienne en 1951, puis à Dortmund trois ans plus tard – sans succès.
Olivier Dhénin, fort justement, la situe dans un joli décor stylisé des années 1920, subtilement éclairé par Anne Terrasse – Jeanne Lanvin a inspiré les rutilants costumes d’Hélène Vergnes. Comme Korngold, il convoque à la fois Vienne et Broadway, avec une chorégraphie très musical de Nina Pavlista, où le plateau manque parfois d’aisance. Sans jamais forcer le trait, la mise en scène oscille heureusement entre le premier et le second degré, fidèle au livret de Victor Clement. David Stern, à l’opposé, empoigne la partition, dont il exalte les rythmes et les couleurs, faisant ressortir tous les effets que l’imagination de Korngold tire de l’orchestre miniature, où le piano tient souvent un rôle de soliste. Quitte à ne pas toujours ménager de jeunes chanteurs parfois encore verts, mais prometteurs, tel l’Andrea d’Olivier Bergeron, à l’aigu encore un peu timide – et un peu ouvert, surtout dans le premier acte. Louis Roullier, basse au timbre mordant, maîtrise en tout cas le chant syllabique rapide de l’air de Caretto et Julie Goussot déploie en Louise une belle et opulente voix d’opéra. Fiancée au dictateur d’opérette, ridicule et inquiétant, de Marco Angioloni, Dania El Zein s’avère chanteuse accomplie : un soprano léger et cristallin, parfaitement maître de son émission, capable de très beaux pianissimi dans l’aigu, au phrasé plein de charme – et une jolie Sylvia, coquette et sensible. Grâce à l’enthousiasme et aux talents d’Opera fuoco, la Sérénade a cessé d’être muette.
Didier van Moere
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