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Quatre chefs-d’œuvre du XXe siècle magnifiés par les solistes de l’EIC Paris Philharmonie 05/10/2019 - György Ligeti: Concerto pour piano – Hamburgisches Konzert – Concerto pour violoncelle – Concerto pour violon Sébastien Vichard (piano), Jens McManama (cor), Pierre Strauch (violoncelle), Hae-Sun Kang (violon)
Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)
J. McManama (© Ensemble intercontemporain)
Le choix des programmateurs de consacrer un concert entier aux Concertos de György Ligeti (1923-2006) dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris en dit long sur le prestige du compositeur du Grand Macabre. Pari gagné: venu nombreux, le public réserve un triomphe à ces quatre chefs-d’œuvre du XXe siècle.
Dans le Concerto pour piano (1988), Sébastien Vichard succède à Hidéki Nagano, lequel l’enregistra dans le double album Bartók-Ligeti publié par Alpha en 2017. La vigueur de son toucher s’allie à un infaillible sens du rythme, au diapason de l’ensemble au complet alliant la précision d’une horlogerie suisse à la jubilation sonore. Moment magique que le deuxième mouvement, noté «Lento e deserto»: Ligeti, en grand saucier des timbres, superpose piccolo, basson (dans l’extrême aigu) et flûtes à coulisse pour modeler un univers sonore inédit. Si la grande salle de la Philharmonie n’offre peut-être pas la fusion attendue, la direction claire et souple de Matthias Pintscher maintient une grande cohésion au discours, jusque dans le très labile final «Presto luminoso».
Au violoncelliste Pierre Strauch incombe le Concerto le plus ancien du cycle (1966): à l’instar d’une symphonie de Bruckner, on le voit plus qu’on ne l’entend commencer (l’entrée initiale du soliste est indiquée pppppppp!). Dans le second mouvement, le jeu volontairement abrasif replace l’œuvre dans la période «radicale»qui l’a vu naître.
Les deux concertos les plus récents fascinent en ce qu’ils donnent à entendre quelque chose d’entièrement neuf... et dans lesquels Ligeti nous sert cependant les mêmes recettes. Ainsi du Concerto pour violon (1992), où transitent emprunts divers et réminiscences (de Bartók à Ligeti lui-même). Hae-Sun Kang se jette à corps perdu dans les cinq mouvements qui sollicitent une incroyable variété de registres, des relents nostalgiques de l’Aria où chantent les harmonies graves du souvenir (on y entend la future Sonate pour alto solo) aux polyrythmies complexes de l’Appassionato en passant par le vertigineux Intermezzo central. La dimension concerto de chambre prévaut tant l’entente avec ses partenaires (le tuilage de la Passacaille) favorise la clarté du lacis polyphonique comme la fluidité des dialogues.
Auparavant, Jens McManama aura interprété le mystérieux Hamburgisches Konzert (1999) et ses fascinantes combinaisons harmoniques dues à la singularité de l’effectif: «Aux quatre cors naturels se joignent deux cors de basset qui jouent "tempéré" et se fondent dans un timbre à l’unisson avec les cors. Le cor solo joue en alternance du cor en fa-si bémol et du cor naturel en fa»(Ligeti). Un défi qui n’effraie en rien le génial corniste de l’EIC, dont l’intonation d’orfèvre, notamment dans le court solo du quatrième mouvement, tire pleinement parti de la plénitude acoustique offerte par la salle.
Jérémie Bigorie
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