About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Les solistes de l’orchestre

Strasbourg
Palais de la Musique
03/28/2019 -  et 29 mars 2019
Yan Maresz : Répliques pour harpes augmentées et orchestre
Alberto Ginastera : Variations concertantes, opus 23
Béla Bartók : Concerto pour orchestre, Sz. 116

Nicolas Tulliez (harpe)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


N. Tulliez


En création contemporaine, on connaît déjà bien ces instruments qui déclenchent la diffusion de sons numériques en temps réel, par exemple chez Pierre Boulez la flûte MIDI d’...explosante-fixe... ou le violon d’Anthèmes 2. La notion d’«instrument augmenté» paraît en revanche un peu différente. Il est toujours question de placer dessus des capteurs reliés à des ordinateurs, mais les sonorisations et réactions déclenchées par l’interprète doivent paraître provenir de l’instrument lui-même, et non simplement l’entourer d’une ambiance diffusée autour de lui. Idéalement toutes les sources, acoustiques et électroniques, devraient pouvoir être rassemblées à l’intérieur même de l’instrument, ce qui paraît évidemment difficile en termes d’encombrement, même en miniaturisant beaucoup les transducteurs.


Pour Répliques de Yan Maresz, créé à Radio France et 2016, commande conjointe de l’Orchestre philharmonique de Radio France, de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg et de l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, place donc à une «harpe augmentée», truffée de capteurs et de petits haut-parleurs (pas si petits que ça, somme toute, puisque la plupart ont l’air dissimulés non pas dans l’instrument mais sous le podium du harpiste, occultés par des pans de tissu noir). En fait de «harpe augmentée», on se demande s’il ne faudrait pas parler plutôt d’un «soliste augmenté», interprète illusionniste juché sur une boîte à roulettes bourrée de trucages, l’une des idées directrices restant d’installer un constant doute quant à l’origine des sons, entre ceux produits par le harpiste lui-même et ceux produits par le système informatique avec lequel il interagit. Musicalement cette œuvre assez développée résonne avant tout comme un bel hommage à la harpe, qui tenterait de donner davantage d’envergure poétique à l’instrument en renforçant son potentiel expressif, avec un succès cependant variable et aussi quelques longueurs, l’interaction du soliste avec l’orchestre paraissant plutôt de l’ordre de la juxtaposition de deux temporalités différentes que d’un vrai dialogue concertant, avec des moments de convergence intéressants mais aussi quelques longues plages d’ennui relatif. Rendons hommage à Nicolas Tulliez, qui a créé ces Répliques en 2016 et continue à les défendre avec beaucoup de conviction, et aussi au valeureux claviériste MIDI caché dans l’orchestre, musicien qui a pour seule ingrate fonction de répercuter à l’équipe informatique IRCAM la battue du chef, en enfonçant sur son instrument muet les toujours quatre mêmes touches, une par temps, pendant plus d’un quart d’heure durant.


En bis, Nicolas Tulliez fait valoir des talents de harpiste plus conventionnels dans le choral de Bach Nun komm, der Heiden Heiland, BWV 61, avatar pianistique de Busoni secondairement adapté à la harpe, ou comment rajouter encore un miroir supplémentaire dans l’exercice toujours stimulant de la transcription.


Transition utile avant les Variations concertantes de Ginastera qui s’ouvrent elles aussi avec la harpe, accompagnant cette fois le violoncelle solo dans l’énoncé d’un thème repris ensuite en une série de métamorphoses, mettant chaque fois en jeu d’autres groupes d’instruments. Un système pas très éloigné du Concerto pour orchestre de Bartók donné en seconde partie, mais dans une perspective plus chambriste (l’œuvre était destinée initialement à un orchestre de petit format), la forme du thème et variations donnant à l’ensemble un aspect séquentiel voire ludique proche des Variations sur un thème de Purcell de Britten. L’ouvrage a été créé en 1953 et son consentement tonal sans grande ambiguïté, voire son héritage bien assumé de clarté néo-classique française, paraît bien différent de l'âpre Beatrix Cenci interprétée parallèlement par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg à l’Opéra national du Rhin (voir ici). En tout cas de jolis moments, que les différents instrumentistes de l’orchestre, sur lesquels l’attention se focalise successivement, assument avec panache.


Même assurance ensuite pour une magistrale exécution du Concerto pour orchestre de Bartók. Ce cheval de bataille a toujours bien réussi à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui l’a même enregistré il y a fort longtemps sous la baguette d’Alain Lombard. Aujourd’hui une nouvelle génération de solistes s’attaque aux nombreux passages de virtuosité de cette partition qui requiert effectivement une agilité et une musicalité véritablement concertants. Le résultat est totalement convaincant, sous la baguette d’un Marko Letonja toujours attentif aux équilibres mais qui sait aussi qu’il peut désormais compter sur le haut niveau de technicité de sa phalange. Mention spéciale pour le deuxième mouvement, « jeu de couples » pris à un tempo bien allant, avec un sens du rebond immédiat qui ne s’épuise jamais. Une exécution mémorable, qui rend vraiment justice à une œuvre qui n’est sans doute pas du meilleur Bartók mais fait tomber toute réticence quand elle est investie avec autant de brio.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com