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Un régal

Tours
Opéra
04/26/2019 -  et 27, 28 avril 2019
Mischa Spoliansky: Es liegt in der Luft (extraits)
Hanns Eisler: Der Graben
Friedrich Hollaender: Der blaue Engel: «Ich bin von Kopf bis Fuss auf Liebe eingestellt»
Kurt Weill: Die sieben Todsünden – La Complainte de la Seine

Marie Lenormand (Anna), Frédéric Caton (La Mère), Carl Ghazarossian (Le Père), Jean-Gabriel Saint Martin, Raphaël Jardin (Les Frères), Fanny Aguado (Danseuse et chorégraphe)
Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, Pierre Bleuse (direction)
Olivier Desbordes (mise en scène), Patrice Gouron (costumes), Joël Fabing (lumières), (vidéo)


(© Sandra Daveau)


Quel plaisir de retrouver Olivier Desbordes à Tours en ce début de printemps! Le directeur du festival de Saint-Céré n’a pas son pareil pour faire vivre le répertoire de cabaret, avec une partie des équipes d’Opéra Eclaté. Le début de la soirée est consacré à la revue de chant «Berliner Kabarett - La Revue des grands magasins», à ne pas confondre avec le spectacle «Berlin Kabarett» actuellement repris au Théâtre de Poche Montparnasse (voir ici) ou avec la comédie musicale Cabaret, montée par Olivier Desbordes en 2014-2015. Il s’agit en réalité d’une adaptation du spectacle «Berlin années 20!», présenté à travers toute la France de 2009 à 2011, dont Olivier Desbordes a réduit les numéros et supprimé les dialogues parlés, tout en lui adjoignant trois superbes chansons contemporaines des années 1920-1930.


Ainsi de la touchante et entêtante Complainte de la Seine (1934) de Kurt Weill qui raisonne dans nos têtes bien après le spectacle, tout autant que la célèbre chanson tirée du film L’Ange bleu, «Ich bin von Kopf bis Fuss auf Liebe eingestellt» («Je suis couverte des pieds à la tête par l’amour»), interprétée par l’inoubliable Marlene Dietrich en 1930. Mais c’est peut-être plus encore l’ajout de la sombre et pénétrante chanson Der Graben (La Tranchée, 1928) de Hanns Eisler, qui donne une profondeur inattendue au propos général, celui de la satire du capitalisme et de l’insouciance des Années folles: Eisler nous rappelle combien de fils et maris la Nation allemande a perdus pendant la guerre, avant que de nombreux survivants ne s’engouffrent, chacun à leur manière, dans l’oubli de cette réalité sinistre: d’aucuns dans la dépense effrénée, d’autres dans la dépression ou encore la préparation de la revanche (d’où la seule allusion du spectacle au péril nazi).


On pourra regretter quelques facilités dans la traduction contemporaine de la Revue des grands magasins, qui semble confondre parler populaire et vulgarité (n’est pas Céline qui veut). Mais force est de constater que le propos reste actuel sur le fond, et ce d’autant plus que cette première partie se joint admirablement à la seconde, où Les Sept Péchés capitaux (1933) moquent avec beaucoup d’esprit (il s’agit de la dernière collaboration d’importance entre Weill et Brecht) l’arrivisme capitaliste. La grande dépression est passée par là, charriant son lot d’ironie désespérée, tandis que la musique de Weill se fait beaucoup plus «grand public» et moins innovante en comparaison des chefs-d’œuvre des années 1920. Reste un indéniable savoir-faire au niveau de l’orchestration, qui alterne finement passages qui swinguent et parties intimistes, le tout parfaitement mis en valeur par les interprètes réunis: l’admirable Marie Lenormand donne beaucoup de caractère à ses interventions parlées, tout en proposant un chant plus suave et charmeur en contraste. On aime aussi beaucoup la basse profonde et incarnée de Frédéric Caton, tout simplement bouleversant dans la chanson d’Eisler précitée. Les autres chanteurs sont à la hauteur, même si Carl Ghazarossian se laisse parfois déborder par son tempérament, criant parfois davantage qu’il ne chante dans certains passages forte.


Pierre Bleuse (né en 1977) dirige un Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours à la hauteur de l’événement, avec un sens des couleurs et de la conduite narrative bien équilibré. On regrettera cependant le choix de faire jouer sur scène l’orchestre plutôt que dans la fosse, ce qui occasionne des sonorités parfois étouffées. En fin de représentation, Bleuse a la bonne idée de faire applaudir, avec les chanteurs, l’excellente Marie-Claude Papion – dont le toucher au piano se joue de l’ivresse rythmique avec un tempérament félin idéal dans ce répertoire. On conclura enfin sur la mise en scène d’Olivier Desbordes qui, comme à son habitude, fait beaucoup avec peu de moyens apparents, en insistant sur une direction d’acteurs très dynamique et épanouie dans la belle scénographie de l’Opéra de Tours, entre passerelle métallique, escalier et rideau de spectacle. Il joue aussi beaucoup sur les changements de costumes qui donne une caractérisation saisissante aux Années folles, dont l’imaginaire visuel est bien connu du public grâce aux nombreux films de l’époque, encore célèbres aujourd’hui à l’instar de L’Ange bleu.



Florent Coudeyrat

 

 

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