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Semele : un opéra, définitivement !

Paris
Philharmonie
04/08/2019 -  et 24 (Barcelona) avril, 2 (London), 6 (Milano), 8 (Roma) mai 2019
Georg Friedrich Händel : Semele, HWV 58
Louise Alder (Semele), Hugo Hymas (Jupiter), Lucile Richardot (Ino, Juno), Carlo Vistoli (Athamas), Gianluca Buratto (Cadmus, Somnus), Emily Owen (Iris)
Monteverdi Choir, The English Baroque Soloists, Sir John Eliot Gardiner (direction)
Thomas Guthrie (mise en espace)


L. Alder (© Gerard Collett)


Alors que Semele n’est généralement guère représentée, le hasard veut que, quelques jours seulement après le concert donné par Harry Bicket à la tête de The English Concert, c’est un autre chef anglais, dirigeant également d’un ensemble d’outre-Manche, qui interprète ce chef-d’œuvre composé par Händel en juin 1743. Quittons donc le Théâtre des Champs-Elysées et rendons-nous à la Philharmonie, comble pour ce concert, le premier d’une tournée européenne qui se poursuivra jusqu’au mois de mai: Paris, décidément, marque les premières étapes de Semele!


Qu’on nous permette de reporter le lecteur, pour ce qui est du déroulé de l’action, à notre précédent commentaire et arrêtons-nous tout de suite sur l’option prise par Gardiner. Car, si l’on peut tergiverser sur la nature de l’ouvrage (oratorio ou opéra), John Eliot Gardiner n’a pas hésité, lui: c’est de l’opéra et volontairement de l’opéra! La mise en espace sur la grande scène de la Philharmonie, le jeu des acteurs, les allées et venues des chanteurs et du chœur, l’utilisation d’accessoires (dont un divan), le port de costumes, le jeu des éclairages: tout était fait ce soir pour aborder Semele sous l’angle opératique. Et que cela a bien fonctionné! Même si certains moments auraient sans doute mérité un plus petit écrin (l’air magnifique de Jupiter «Where’er you walk, cool gales shall fan the glade», qui aurait ainsi sans doute encore gagné en intensité s’il avait été par exemple chanté sur une scène comme celle de l’Opéra-Comique), on est totalement transporté et on oublie la dimension parfois proche de l’oratorio qui, en définitive, n’apparaît réellement que dans le chœur conclusif «Happy, happy shall we be», à la faveur de l’intervention d’un orchestre renforcé par deux trompettes qui nous rappelle les chœurs les plus glorieux d’Israël en Egypte par exemple.


Nous avions été ô combien séduit par la prestation de Brenda Rae dans le rôle de Semele: on aura été totalement transporté par la prestation de Louise Alder. D’une intensité incroyable (dès son premier air «The morning lark to mine accords», scène 1 de l’acte I), la jeune chanteuse anglaise nous subjugue. Magnifique dans l’air «O sleep, why dost thou leave me» (acte II, scène 2), Louise Alder fait montre d’une théâtralité que sert parfaitement une agilité vocale irréprochable, comme d’ailleurs Brenda Rae quelques jours auparavant, cette dernière nous ayant néanmoins davantage convaincu dans un des plus grands airs de l’opéra, «Myself I shall adore if I persist in gazing» (scène 3 de l’acte III). Si les deux chanteuses nous semblent néanmoins équivalentes au plan strict du chant, Alder l’emporte sans conteste dans l’intensité conférée au personnage, il est vraie favorisée par la semi-mise en scène choisie pour ce concert.


Au jeu des comparaisons, Hugo Hymas est en revanche moins probant que l’excellent Benjamin Hulett cinq jours plus tôt. «Trop humain, pas assez divin» avions-nous écrit, au détour d’une ligne, au sujet de Hulett: ici, malheureusement, la dimension divine n’apparaît guère, n’affleure même jamais. Certes, Jupiter nous apparaît en tant qu’homme et ne dévoile sa divinité qu’à la fin de l’œuvre mais cette force, cette virilité à laquelle il ne peut échapper ne fait qu’effleurer le chant de Hymas, trop frêle et juvénile dans le rôle du roi des dieux. Le chant est superbe, n’en doutons pas: qu’il s’agisse de l’air «Where’er you walk, cool gales shall fan the glade» (scène 3 de l’acte II) où apparaît la fragilité du personnage que seul l’Amour peut vaincre ou du dramatique «Speak, speak your desire» (scène 4), Hugo Hymas nous tire les larmes et s’affirme comme un partenaire de choix pour Louise Alder. Il n’empêche que davantage de caractère aurait sans doute été bienvenu.


De caractère et de théâtralité, Lucile Richardot n’en manque pas, quitte parfois à en faire un peu trop d’ailleurs (un peu plus de réserve dans l’air somptueux de Semele «Myself I shall adore if I persist in gazing» nous aurait sans doute permis de profiter davantage de la prestation de Louise Alder). Pour autant, quelle chanteuse et quelle comédienne! Voilà une Junon des plus intrigantes (passant de la colère la plus vive au discours amadouant sa victime de la façon la plus doucereuse): irrésistible dans l’air «Hence, Iris, hence away», plein de rage (menaçant même Gardiner!), elle convainc tout autant dans le rôle d’Ino, notamment dans le très beau duo «You’ve undone me» à la fin de la scène 2 de l’acte I. Dans le rôle d’Iris, Emily Owen est bonne mais moins truculente qu’Ailish Tynan dans l’équipe de Bicket. En revanche, Gianluca Buratto, qui chante aussi bien le rôle de Cadmus que celui de Somnus, est excellent: projection idéale, noblesse du chant, pureté de la ligne, il est irréprochable à chacune de ses interventions, en particulier dans le quatuor «Why dost thou thus untimely grieve» (acte I, scène 1), qu’il domine de la tête et des épaules, et dans l’air de Somnus «Leave me, loathsome light» au début de l’acte III. Carlo Vistoli campe un fier Athamas qui, là aussi, convainc à chaque instant même si la voix aurait pu être un rien plus puissante (qu’ont entendu les spectateurs à l’arrière de la scène?), le contre-ténor remportant de beaux applaudissements mérités pour son air «Despair no more shall wound me» à la fin du dernier acte. Soulignons également les interventions remarquables de Daniel D’Souza dans le rôle du Grand-Prêtre, Peter Davoren dans celui d’Apollon et, surtout, d’Alison Ponsford-Hill qui chanta avec ingénuité et fraîcheur l’air redoutable «Endless Pleasure», habituellement dévolu à Semele !


Mais, si ce concert a surpassé le précédent, c’est surtout grâce à un chœur et un orchestre dont les affinités avec ce répertoire sont tellement évidentes qu’il est presqu’inutile d’en dire davantage... Le Chœur Monteverdi n’a plus rien à prouver: c’est le meilleur possible dans ce répertoire à ce jour! Dès le joyeux «Lucky omens bless our rites», il s’affirme comme un protagoniste à part entière; les chanteurs (notamment les chanteuses) sont jeunes et, dans la mise en espace organisée par Thomas Guthrie, évoluent derrière, devant, sur les côtés de la scène sans jamais perdre de vue le discours qui leur est dévolu, faisant preuve à chaque instant d’une remarquable justesse. Quant à l’orchestre, beaucoup plus étoffé que The English Concert, il nous happe dès l’ouverture. Gardiner dirige l’ensemble avec une hauteur de vue et une précision au-delà de tout éloge. Emmenant un ensemble qui le suivrait n’importe où (à l’image de l’inamovible premier violon Kati Debretzeni, du remarquable trompettiste Neil Brough ou du timbalier Robert Kendell, qui marquait chaque nouvelle scène par un petit coup de triangle, dont un fut d’ailleurs raté, seule mini-anicroche au cours de cette soirée...), John Eliot Gardiner est le triomphateur de cette soirée. Chef incroyable qui, quel que soit le répertoire, ne semble jamais rien rater.


En sortant de la Philharmonie, on se disait que, ma foi, le chef anglais devrait sans nul doute enregistrer l’œuvre avec cette équipe, presque trente-cinq ans après sa gravure (chez Erato avec Norma Burrowes et Anthony Rolfe-Johnson dans les rôles de Semele et Jupiter): on aurait à coup sûr à faire à la nouvelle référence de l’œuvre! Maître, si vous nous lisez...


Le site du Chœur Monteverdi, des Solistes baroques anglais et de John Eliot Gardiner
Le site de Louise Alder
Le site de Hugo Hymas
Le site de Carlo Vistoli
Le site d’Emily Owen



Sébastien Gauthier

 

 

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