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Un chant ressuscité

Paris
Théâtre du Châtelet
11/06/2001 -  8,10, 12*, 13 novembre
Peter Eötvös : Trois Soeurs
Oleg Riabets (Irina), Bejun Mehta (Macha), Alain Aubin (Olga), Gary Boyce (Natacha), Jan Alofs (Anfissa), Peter Hall (Tcheboutykine), Albert Schagidullin (Andreï), Wojtek Drabowicz (Verchinine), Gregor Dalal (Touzenbach), Denis Sedov (Soliony), Alexei Grigorev (Rodé), Nikitya Storojev (Koulyguine), Valery Serkin (Fedotik)
Ushio Amagatsu (mise en scène, scénographie, lumières), Natsuyuki Nakanishi (décor, peintures), Sayoko Yamaguchi (costumes, maquillages)
Orchestre Philharmonique de Radio France, Kent Nagano, Peter Eötvös (direction)

Fêtées depuis leur création lyonnaise à travers l'Europe, les Trois Sœurs gagnent enfin Paris, imposant une nouvelle fois les qualités proprement lyriques de la musique d'Eötvös. Loin du sprechgesang épuisé d'un Fènelon ou d'un Manoury, moins expérimentale mais plus riche et variée que celle de Lachenmann et évoquant mieux en définitive les grandes années d'un Berio, on admire une écriture vocale à la fois expressive et imaginative, qui exploite à merveille les valeurs mélodiques et rythmiques de la langue russe et trouve d'immédiates affinités avec le dialogue tchekhovien. Jamais la double formation orchestrale et le dispositif électroacoustique n'écrasent les voix, privilégiant un alliage concertant, quasi chambriste mais aux couleurs sans cesse renouvelées, avec les instruments, et non les effets de masse. Thèmes très lisibles, à l'impact immédiat, polytonalité aux ressources inépuisables mais éprise de clarté ; voilà bien l'opéra dont le langage pourrait s'avérer le plus fécond si le siècle commençant veut laisser sa place au genre. Le livret fut également encensé ; on se montrera pourtant plus réservé ici. Non sur les mots, rapprochés avec goût par Kristof Wiernicki de ceux de l'auteur, mais sur la dramaturgie. Certes, le principe du flash-back et la narration éclatée recréent l'atmosphère du théâtre de l'anodin propre à Tchekhov. Mais ils brisent également la tension dramatique vers l'inéluctable catastrophe, horizon de toutes ses grandes œuvres, dont la puissance même résulte de l'insignifiance des faits qui y ont conduit. De même, la production originale d'Ushio Amagatsu induit dans son raffinement une forme de distanciation rappelant quelques clichés théâtraux liés à cet univers (revoir à l'inverse le film Vanya 42nd Street de Louis Malle et André Gregory). L'art avec lequel elle traduit en gestes et en images chaque inflexion de la musique n'en force pas moins l'admiration, la stylisation issue du Nô permettant au travestissement des protagonistes féminins d'atteindre une parfaite vérité sensible au delà d'un réalisme factice.
Sous la conduite de Kent Nagano, et avec le compositeur comme assise sonore et mentale à l'arrière de la scène (expérience d'une force de suggestion rare pour un chanteur), la distribution est idéale. Les accents fragiles, parfois grêles, mais infiniment sensibles et musicaux d'Oleg Riabets en Irina contrastent à merveille avec la plénitude lunaire de Bejun Mehta dans le rôle de Macha, tandis que Gary Boyce réussit un incroyable numéro scénique et vocal en belle sœur tyrannique - mais deviendrait-on trop politiquement correct à se sentir ainsi gêné de voir la mise en scène jouer, dans l'isolement négatif que lui confère la rythmique saccadée de ses gestes, sur un préjugé d'ordre racial ? Si l'Andreï d'Albert Schagidullin demeure plus en retrait encore que ne l'exigerait le personnage, Denis Sedov campe un amoureux déçu saisissant (auquel Eötvös destine une musique dont la noirceur vénéneuse donne le frisson) et Peter Hall un docteur Tcheboutykine dont les mots dérivent au gré d'une fascinante errance virtuose.



Vincent Agrech

 

 

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