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Saint-Saëns à bras le corps

München
Philharmonie im Gasteig
03/14/2019 -  et 15* (München), 18 (Wien), 19 (Budapest), 21 (Luxembourg) mars 2019
Hector Berlioz : Le Carnaval romain, opus 9
Francis Poulenc : Concerto pour orgue, orchestre à cordes et timbales en sol mineur
Camille Saint-Saëns : Symphonie n° 3 en ut mineur « avec orgue », opus 78

Iveta Apkalna (orgue)
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons (direction)


I. Apkalna, M. Jansons (© Peter Meisel)


La grande salle du Gasteig à Munich est en sursis, devant disparaître d’ici peu d’années au profit d’une toute nouvelle Philharmonie, construite au même endroit, au sein d’un complexe culturel complètement restructuré. Même si le bâtiment actuel, inauguré en 1985 par Sergiu Celibidache, pose de nombreux problèmes (acoustique traître, dimensions intimidantes, dégagements labyrinthiques) on le regrettera, ne serait-ce qu’à cause des nombreux souvenirs musicaux qu’on y a vécus. Et puis parce que cette salle, avec ses grands volumes de bois blond et son orgue largement déployé au fond, offrait quand même un beau cadre visuel aux musiques qu’on y jouait.


Mais rien n’est fait encore, les grands projets symphoniques munichois ayant le don de traîner en longueur au gré de tractations sans fin. Rappelons que Mariss Jansons et l’Orchestre de la Radio bavaroise se sont vu promettre eux aussi leur Konzerthaus, projeté à moins d’un kilomètre de là. Le projet architectural est choisi, le terrain déjà réservé (le Werksviertel, juste en face de l’Ostbahnhof), mais les travaux ne commencent toujours pas... Pour le Gasteig, qui restera, lui, la maison des Münchner Philharmoniker, le cas est encore plus compliqué, puisqu’il faudra reloger les concerts pendant cinq années au moins dans une Philharmonie provisoire, en bois et poutrelles d’acier, dont la construction est prévue au sud de la ville. Des projets sur lesquels beaucoup d’incertitudes continuent à planer, avec toujours pour les Bavarois le spectre des gabegies et des atermoiements sans fin auxquels ont donné lieu les travaux de l’Elbphilharmonie de Hambourg, exemple traumatisant qu’il paraît vital de ne pas suivre.


En attendant c’est toujours entre la sévère et peu pratique Herkulessaal et la salle du Gasteig où il se produit ce soir, que l’Orchestre de la Radio bavaroise doit jouer, sans domicile fixe. Avec en invité de marque pour le présent concert, le grand orgue qui impose chaque fois sa présence visuellement massive derrière les musiciens, mais que l’on n’entend presque jamais. Un outil richement pourvu, avec ses 6000 tuyaux, et de surcroît complètement dépoussiéré et rénové en 2004, ce qui lui a rendu une nouvelle jeunesse. Effectivement un instrument qui sonne bien, dans une généreuse perspective d’orgue symphonique, mais dont la rénovation n’exclut toujours pas les pannes ponctuelles, dont une est d’ailleurs survenue au cours des répétitions de ce concert : la rupture d’une seule courroie de soufflerie a suffi pour que la moitié des tuyaux cesse de fonctionner. Problème heureusement vite réparé, mais l’instrument reste sous une intense surveillance, avec une équipe technique sur le pied de guerre.


Pour le Concerto pour orgue de Poulenc, il faut mettre en place la console mobile juste à côté du podium du chef : un volumineux dispositif qui nécessite quatre personnes vigoureuses pour le déplacer. Juchée là-dessus, l’organiste lettone Iveta Apkalna a des allures de capitaine au long cours en train de barrer un paquebot, ce qui contraste avec sa frêle silhouette, au demeurant très étudiée : chevelure blonde en chignon, costume qui associe bizarrement queue-de-pie et pantalon de jogging, semelles dorées surcompensées… On a affaire à une artiste plutôt médiatique, titulaire du grand orgue de l’Elbphilharmonie de Hambourg et qui semble lorgner sur la carrière un peu tapageuse d’un Cameron Carpenter. Cela dit, une artiste de valeur, qui interprète Poulenc avec beaucoup de tact, même si visuellement elle paraît en faire un peu plus que nécessaire. Derrière cet encombrant soliste, Mariss Jansons aligne son orchestre d’élite avec un maximum d’intensité, sans rien céder. L’engagement de chacun paraît maximal, y compris de brefs solos d’alto et de violoncelle qui se font immanquablement remarquer. Les cordes sont d’une intensité voluptueuse, mais leurs couleurs s’épanouissent sans rien d’opaque ni de contraint. Energique prestation aussi du timbalier Raymond Curfs. Pour ce rare concerto assurément une interprétation exemplaire, à la fois grandiose et équilibrée. En bis une rare Toccata sur le Choral «Allein Gott in der Höh sei Ehr» du compositeur estonien Aivars Kalējs : typiquement de la musique d’organiste, avec le thème luthérien bien affirmé au pédalier. Rien de foncièrement original mais le moment s’écoule agréablement.


En seconde partie, pour la Troisième Symphonie de Saint-Saëns, la console d’orgue retourne dans le coin droit de l’orchestre, davantage en retrait. Comme pour l’Ouverture Le Carnaval romain de Berlioz qui ouvrait le concert, Mariss Jansons impose des allures modérées mais surtout une constante plénitude du son. L’Orchestre de la Radio bavaroise est une phalange qui s’impose par son luxe instrumental mais pas tout à fait à la façon des Berliner Philharmoniker par exemple : il n’y a pas d’ostentation dans l’extraordinaire perfection de la phalange munichoise, mais simplement l’impression d’une lecture qui s’écoule tranquillement, avec un naturel de tous les instants. On pourrait même rêver d’un Berlioz plus pétillant, plus latin, animé d’un grain de folie qui fait défaut à cette lecture très posée (jusqu’à l’appogiature qui précède le dernier accord, jouée par les cuivres en détachant chaque note), mais quelle splendeur! Au pupitre Mariss Jansons donne d’ailleurs l’impression de faire entièrement confiance à ses musiciens, en n’étant plus là que pour souligner certaines nuances et les inviter de temps à autre à mieux s’écouter mutuellement, car pour le reste tout est miraculeusement en place. Chez Saint-Säens, cette relative réserve s’apprécie encore mieux, le chef évitant toute embardée. Le résultat est impeccablement poli, modelé, les alliages instrumentaux d’un luxe enivrant, jusqu’au mariage idéal de l’orchestre et de l’orgue, qui fait sans doute du Poco adagio le sommet de cette exécution : un moment de grâce, les cordes parvenant à nourrir intensément leur phrase en un legato superbe, qui ne fléchit jamais. Ce miracle paraît façonné davantage que dirigé par Mariss Jansons, sans baguette, et il est écouté par la salle dans un silence religieux. Superbe finale, là encore extrêmement tenu, sans embardées, jusqu’au dernier crescendo qui enfle progressivement en intensité et qu’ensuite orgue et orchestre tiennent sur le souffle, en apothéose, pendant que Mariss Jansons ouvre de plus en plus largement sa carrure et semble maintenir toute la masse à bras le corps pendant de longues secondes. Une exécution magnifiquement intense mais sans rien d’inutilement démonstratif : à ce degré de perfection, de toute façon, il devient totalement inutile d’en rajouter pour épater la galerie.



Laurent Barthel

 

 

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