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Vanitas, vanitatum et omnia vanitas Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/03/2019 - et 5 (London), 7 (Gateshead), 10 (Dartmouth), 12 (Ann Arbor), 14 (New York), 16 (Philadelphia) avril 2019 Georg Friedrich Händel: Semele, HWV 58 Brenda Rae (Semele), Elizabeth DeShong (Ino, Juno), Benjamin Hulett (Jupiter), Soloman Howard (Cadmus, Somnus), Christopher Lowrey (Athamas), Ailish Tynan (Iris)
The Clarion Choir, Steven Fox (direction artistique), The English Concert, Harry Bicket (direction)
H. Bicket (© Dario Acosta)
Georg Friedrich Händel est décédé voilà 260 ans, en 1759. S’il n’a jamais perdu sa popularité grâce à quelques célèbres pages orchestrales ou chorales, certains ouvrages ne sont guère fréquemment joués: tel est le cas de Semele (1743) qui, en dépit de mémorables concerts (souvenons-nous, il y a quelques années, de celui donné salle Pleyel avec Cecilia Bartoli dans le rôle-titre...), n’a pas souvent fait les honneurs des salles parisiennes. Le hasard veut qu’à quelques jours d’une Semele dirigée par John Eliot Gardiner à la Philharmonie de Paris (prévue le 8 avril), c’est Harry Bicket et The English Concert qui l’interprètent en premier, au Théâtre des Champs-Elysées, étape inaugurant une tournée de presque quinze jours qui emmènera l’équipe jusqu’aux États-Unis d’Amérique.
On connaît les controverses relatives à cet ouvrage, à mi-chemin entre l’opéra et l’oratorio (Jean-François Labie, par exemple, parlant à son sujet d’«oratorio païen» ou de «comédie déguisée en oratorio»), qui a décontenancé le public de l’époque. Si l’œuvre emprunte au genre de l’oratorio la place prépondérante du chœur, l’intrigue s’en éloigne car elle n’est pas tirée de l’Ancien ou du Nouveau Testament mais d’un livret de William Congreve, lui-même issu des incontournables Métamorphoses d’Ovide. Point de religiosité là-dedans mais bien davantage de sensualité, de comédie, de drame et d’amour... L’intrigue, une fois n’est pas coutume dans le répertoire baroque, n’est pas des plus alambiquées. Alors que la princesse Semele est fiancée au prince Athamas, elle tombe amoureuse d’un autre homme qui, en vérité, est un Dieu, Jupiter, tramé en simple mortel pour l’occasion. L’épouse légitime du roi des Dieux, Junon, entre dans une rage folle face à cette nouvelle séduction et ne souhaite plus désormais que se venger de Semele. À cette fin, elle se déguise en Ino et pousse Semele à demander à Jupiter de lui apparaître non en simple mortel mais dans toute sa divinité afin de bénéficier elle aussi de l’immortalité. Le problème est que cette apparition, et Jupiter le sait, condamnera Semele à mourir en étant consumée par le feu divin. Poussée par son orgueil, Semele impose néanmoins à Jupiter de s’exécuter, ne se rendant compte que trop tard de l’issue fatale qui devait être la sienne. Alors qu’Ino révèle à tous que Jupiter lui a ordonné d’épouser Athamas, l’opéra tente de se conclure sur une happy end: Apollon apparaît soudainement et déclare à l’assistance qu’un phénix naîtra des cendres de Semele, répondant d’une certaine manière au vœu d’immortalité de la jeune femme. Nul ne le sait encore, mais ce nouvel être ne sera autre que le dieu du vin, Bacchus.
Dans le rôle de Semele, Brenda Rae fut exceptionnelle! Habillée en bleu pour le premier acte, en rouge pour les deuxième et troisième actes dans le cadre d’une représentation en version de concert, elle s’impose tout d’abord par une technique exceptionnelle, notamment dans les deux airs célébrissimes de l’acte III, «Myself I shall adore if I persist in gazing» (scène 3) et l’air de bravoure «No, no! I’ll take no less» (scène 4), où elle s’impose face à Jupiter, sans tenir compte des conséquences qui la mèneront au trépas. Mais surtout, Brenda Rae sait, en vraie comédienne qu’elle est, varier son jeu au gré de l’état d’esprit à adopter et des circonstances qui lui font face; pleine de fraîcheur et assumant un caractère quelque peu ingénu à l’acte I («Endless pleasure, endless love», scène 4), elle dévoile peu à peu son ambition, imposant ses vues au plus puissant des Dieux avant de sombrer, trop tard, dans la plus total désespoir, acceptant la fatalité d’une mort qu’elle a finalement elle-même provoquée («Ah me! Too late I now repent» pleure-t-elle à la scène7 de l’acte III). Superbe prestation!
A une héroïne de cette trempe, il faut un amoureux à la hauteur. Dans le rôle de Jupiter, Benjamin Hulett nous offrit deux des plus beaux moments de l’opéra – admettons donc qu’il s’agit davantage d’un opéra que d’un oratorio – avec, en premier lieu, l’air «Where’er you walk, cool gales shall fan the glade» (scène 3), la générosité de son timbre illustrant à merveille l’idéale Arcadie que son chant est alors censé peindre. Si l’air précédent, «I must with speed amuse her», est également très bien interprété, on peut néanmoins lui reprocher d’être un peu trop sur la réserve (trop humain, pas assez divin en quelque sorte): si la technique vocale est irréprochable, il aurait sans doute pu s’affirmer davantage afin de cultiver davantage sa double nature et donc l’ambiguïté de son personnage. Incarnant à la fois Junon et Ino, Elizabeth DeShong témoigne également d’une musicalité (le splendide air «Turn, hopeless lover, turn thy eyes» à la scène 2 de l’acte I, seulement accompagné par un violoncelle et un orgue, rejoints un court instant par le violon solo) que de son agilité vocale, en particulier dans l’air véhément «Hence, Iris, hence away» (acte II, scène 1). Signalons à cette occasion deux très beaux duos qui témoignèrent du parfait mariage des timbres entre Junon et Athamas (à la fin du premier acte) d’une part, entre Junon et Somnus d’autre part («Obey my will, thy rod resign» à la fin de la première scène de l’acte III).
Somnus justement: incarné par Soloman Howard (qui chantait également le rôle de Cadmus), ce dernier nous aura laissé une impression plus mitigée. Si la voix est belle assurément, elle témoigne, notamment dans le registre le plus grave, d’un vibrato parfois excessif («Leave me, loathsome light» à l’acte III) et d’une prononciation assez inintelligible en raison de sonorités parfois caverneuses. Au-delà de cet aspect, force est de constater que Howard gagnerait sans nul doute à intervenir dans le cadre d’une représentation scénique de Semele tant on sent chez lui une propension à vouloir jouer davantage ses personnages, malheureusement contraint pas une mise en espace assez limitée. Dans le rôle d’Iris, saluons bien entendu la gouaille d’Ailish Tynan avec l’air parfaitement réussi et impayable «There, from mortal cares retiring» au début de l’acte II! Dans le rôle d’Athamas enfin, Christopher Lowrey offre une honnête prestation, sans nul doute, mais qui manque ô combien d’imagination: l’air «You’ve undone me» (acte I, scène 2) n’a ainsi guère de puissance, la reprise s’avérant pour sa part des plus plates, sans ornementation, ni fantaisie.
C’est également la première impression qui ressort de l’orchestre! Pourtant, on sait que The English Concert connaît «son» Händel sur le bout des doigts. Mais le premier acte laisse percer un ennui considérable. L’Ouverture sonne petit et manque de nerf, Harry Bicket dirigeant l’ensemble avec un excès de précaution alors que les envolées de ces premières phrases doivent au contraire être prises à bras-le-corps. De façon générale, l’accompagnement s’avère alors beaucoup trop sage (les violons dans l’air de de Semele «The morning lark to mine accords this note» à l’acte I) et on craint de rapidement s’assoupir, d’autant que les chanteurs ont également quelques difficultés à entrer dans l’action tout au long de cette première heure de musique. Heureusement, confiance aidant peut-être, l’orchestre retrouve une partie de sa verve dès la Sinfonia débutant le deuxième acte, l’accompagnement gagnant en force en dépit d’un effectif réduit (neuf violons, deux altos, deux violoncelles, une basse continue, des vents par deux aux interventions rarissimes); si Harry Bicket semble plus à son aise dans les passages lents que dans les tornades händeliennes, l’ensemble finit par gagner en intérêt, même si, avouons-le, une direction plus énergique serait sans doute la bienvenue. Mention finale au chœur, excellent dans chacune de ses interventions, souple («Lucky omens bless our rites» à l’acte I), enjoué («Now Love that everlasting boy invites» à l’acte II) ou, au contraire, retenu et superbe dans le magnifique «O terror and astonishment» suivant la mort de Semele (acte III).
Si l’on attend plus que jamais la comparaison avec le concert Gardiner à venir (l’opportunité est plus que tentante!), le public, qui n’aura occupé que les deux tiers du théâtre ce soir, aura tout de même salué avec chaleur une équipe cohérente et de très bon niveau. Le but était donc atteint.
Le site de Brenda Rae
Le site d’Elizabeth DeShong
Le site de Benjamin Hulett
Le site de Soloman Howard
Le site de Christopher Lowrey
Le site de The English Concert
Le site de la Clarion Music Society et du Clarion Choir
Sébastien Gauthier
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