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Une des plus belles zarzuelas

Madrid
Teatro de la Zarzuela
03/28/2019 -  et 29, 30, 31 mars; 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 14 avril 2019
Francisco Asenjo Barbieri : El barberillo de Lavapiés
Borja Quiza*/David Oller (Le barbier Lamparilla), Cristina Faus*/Ana Cristina Marco (Paloma), María Miró*/Cristina Toledo (La Marquesite del Bierzo), Javier Tomé*/Francisco Corujo (Don Luis de Haro), David Sánchez (Don Juan de Peralta), Abel García (Don Pedro de Monforte), Carmen Paula Romero (Une vendeuse), José Ricardo Sánchez, Felipe Nieto (Etudiants), Miguel Ballabriga, Angela Chavero, Carmen Fumero, Alejandro Moya, Mario Olave, Melania Olcina, Victoria Pérez Miranda, Begona Quinones, Indalecio Séura, Samuel Vicente (danseurs)
Coro Titular del Teatro de la Zarzuela, Antonio Fauró (chef de chœur), Rondalla Lírica de Madrid “Manuel Gil”, Enrique García Requena (chef de chœur), Orquesta de la Comunidad de Madrid, Titular del Teatro de la Zarzuela, José Miguel Pérez-Sierra (direction musicale)
Alfredo Sanzol (mise en scène et adaptation du texte), Alejandro Andújar (décors et costumes), Pedro Yagüe (lumières), Antonio Ruz (chorégraphie)


(© Javier del Real)


Le Petit Barbier de Lavapiés est un des joyaux qui se détache de l’abondance de titres créés durant les cent ans pendant lesquels la zarzuela moderne a eu son heure de gloire – la zarzuela est une sorte d’opéra comique, de Singspiel à l’espagnole. Il y a eu une zarzuela du XVIIe siècle, le Siècle d’Or espagnol (de l’or dans les arts, la musique, les lettres, le théâtre, mais guère voire pas du tout de succès politiques, ce fut une époque de guerres extérieures perdues, de maladies et de recul de la population de la péninsule). Il y a eu une continuité lyrique le siècle suivant avec un phénomène dénommé tonadilla escénica (comment peut-on traduire cela? ce n’est pas une ritournelle, ce n’est plus une simple chanson, ce n’est pas tout à fait une comédie musicale, encore moins un opéra comique), une pièce brève pour comédiens chanteurs, musiciens et danseurs, en vogue pendant une bonne partie du XVIIIe siècle et au début du XIXe. La seconde moitié de ce siècle-ci montre l’essor de la zarzuela moderna, populaire, tout au contraire de la zarzuela-opéra du Siècle d’Or et d’une partie du XVIIIe siècle. Avant le phénomène du género chico (des pièces populaires d’une heure, la plupart des zarzuelas – mais pas toujours, il y avait aussi des revistas, comme la très bien connue et célébrée La Gran Vía), on a une des meilleures zarzuelas du répertoire, El barberillo de Lavapiés, de Francisco Asenjo Barbieri, dont la première, en décembre 1874, est antérieure de onze jours au coup d’Etat pour la Restauration bourbonienne (Alphonse XII de Bourbon) après une période d’espoirs déçus, de désordres, d’une république manquée, de guerre civile avec la menace toujours certaine du carlisme (intégrisme légitimiste).


Barbieri n’était pas un réactionnaire, il était surtout libéral, même s’il avait des amis de tous les partis dans ce Madrid-là ou tout le monde se connaissait, où tout était près de chez soi, un gros village de la Mancha, pour le dire comme un des personnages de Valle-Inclán plus d’un demi-siècle après. Barbieri était un savant, un érudit de la musique, de l’histoire et de la poésie (et ceci voulait dire «toute la littérature»). Le musicologue Emilio Casares Rodicio a consacré une bonne partie de sa vie à Barbieri. Casares a retracé sa vie et édité ses documents (1). Aujourd’hui, l’auteur de Pan y toros (un titre synonyme de panem et circenses) ou Jugar con fuego (Jouer avec le feu) est bien connu des publics et des personnes qui ne sont pas trop éloignées de la musique et du théâtre. Il est un porte-drapeau et un théoricien de la zarzuela en tant que spécialité ou genre théâtral.


Voyons un peu le titre: El barberillo de Lavapiés. Barbieri déploie dans cette zarzuela un éventail de danses et chants populaires qui dominent l’action des personnages du peuple, le barbier Lamparilla, la couturière espiègle et courageuse Paloma et ses amis du quartier (seguidilla, jota, tirana, bolero, calesera, etc.). Le nom de Paloma (colombe, pigeon, ramier) prête au personnage des équivoques devenant des chansons. Mais, en même temps, Barbieri se considère fidèle à son ami Rossini, camarade des bons vins et de la bonne chère, et aussi d’amour pour le théâtre lyrique. Et il dessine les personnages aristocratiques avec une musique de goût italien, dont le rossinisme peut être objet de discussion, car il n’est pas si évident.


Mais, d’abord, le titre: barberillo, c’est «petit barbier», comme un frère cadet de Figaro, même si le mot «petit», ici, se veut surtout un éloge tendre et admiratif. Après, Lavapiés, un quartier aujourd’hui au centre de Madrid, et à l’époque trop loin et trop au sud, trop populaire, voire dangereux pour les gens respectables. Mais rien n’était vraiment loin en 1874, encore moins un siècle avant, où est située l’action de politique historique fictive de la pièce. Le Palais Royal était à moins d’une demi-heure à pied. El barberillo de Lavapiés montre l’union du peuple (Lamparilla et Paloma) et des aristocrates dans une intrigue, tout comme dans Le Barbier de Beaumarchais et ceux de Paisiello et Rossini. Mais ici, l’intrigue est politique: les libéraux avant la lettre essaient d’évincer le premier ministre réactionnaire.


Lamparilla, Paloma, dona Estrella, la marquesita del Bierzo («Etoile», «la petite marquise», pour tout traduire, si besoin était) sont revenus encore fois chez eux, le même théâtre où El barberillo est né il y a plus de cent quarante-quatre ans. Un succès, comme d’habitude, pour cette zarzuela surtout madrilène mais pleine d’hispanité de toute origine et d’italianisme bien assimilé et transformé. Un des metteurs en scène les plus en vue aujourd’hui a illustré d’une façon vertigineuse et avec une théâtralité très efficace les aventures de Lamparilla et de sa bande. C’est Alfredo Sanzol, auteur aussi de l’adaptation à partir du livret original de Luis Mariano de Larra (fils de l’écrivain romantique et journaliste Mariano José de Larra, «Figaro» comme nom de plume) et de la partition dans l’édition critique de María Encina Cortizo et Ramón Sobrino. Vivacité, action sans répit, Sanzol fait danser les acteurs et chanteurs, et aussi c’est comme s’il faisait aussi jouer les danseurs. Certains ont prétendu que c’est une mise en scène traditionnelle. Pas d’accord, c’est la mise en scène d’une zarzuela, et dans la zarzuela, on ne peut pas se permettre des trouvailles pour modifier les intrigues; l’opéra comique est trop enraciné dans la terre et dans les esprits, et il suffit voir les malheureux exemples d’aggiornamento de, par exemple, Carmen, opéra comique par excellence. Barbieri est de cette race-là: Sanzol a bien compris comme metteur en scène et hommes de lettres le vrai sens de cette œuvre, contemporaine de Carmen, justement. Avec les très beaux costumes d’Alejandro Andújar, il y a une illusion «historique», mais ses décors en forme de panneaux praticables sont efficaces dans un sens contraire, dans le renoncement logique au papier peint, au carton-pâte.


La direction musicale de José Miguel Pérez Sierra a été une prouesse de tempi, de nervosité, d’agilité, de couleurs, avec un orchestre en forme et un chœur qui semblait plein de joie, tout comme les danseurs dans cette fête où la joie est annoncée dès les premières mesures du Prélude.


Le rôle du sympathique barbier Lamparilla est marqué par la tradition du ténor comique, mais pour l’occasion, on a préféré des barytons pour les deux distributions – nous avons entendu la première. Borja Quiza a été un Lamparilla vocalement en forme et dramatiquement excellent. C’est étonnant, car on l’a vu il y a quelques jours en Mercure dans une des distributions de La Calisto au Teatro Real: des rôles, des styles, des écoles, des périodes tout à fait différents. Sens de la comédie et belle voix de mezzo avec des nuances lyriques, Cristina Faus est une Paloma taquine et malicieuse. La soprano María Miró, très belle voix pour la Marquesita, donne la réplique et compense les traits populaires de son amie plébéienne, sans pour autant exagérer la noblesse; d’ailleurs, l’aristocratie espagnole (même la Maison royale) a toujours eu toujours une fascination pour le peuple, imitant ses gestes et aussi ses costumes (comme l’intrigue les contraint ici à le faire). Le ténor Javier Tomé complète le quatuor de rôles principaux, et ses interventions dans les ensembles beaux et toujours brefs de Barbieri donnent un sens et une couleur de stabilité aux moments lyriques où l’action paraît s’arrêter. Il faut remarquer, sans nul doute, ces ensembles sans chœur où le compositeur est maître de ses armes. C’est justement l’équilibre qui donne une unité et un sens à cette représentation, entre deux élégances, la populaire et l’aristocratique. Attention: ce Barbier ne saurait offrir les délices du pur belcanto. Il s’agit d’un autre type de fête. Mais c’est une fête. Par moments, la représentation était exquise.


Pour l’heure, et avant de venir à Madrid pour voir cette petite merveille, vous pouvez aiguiser votre appétit avec cet enregistrement luxueux du Barberillo de Lavapiés, dirigé en 1994 par Víctor Pablo Pérez (avec l’Orchestre Symphonique de Tenerife), et chanté par des voix formidables: Lola Casariego, María Bayo, Manuel Lanza et Juan Pons.


(1) Barbieri: Biografías y documentos sobre Música y Músicos espanoles (Legado Barbieri, vol. 1), Ed. de Emilio Casares. Fundación Banco Exterior.
Barbieri: Documentos sobre música y Epistolario (Legado Barbieri, vol. 2), Ed. de Emilio Casares. Fundación Banco Exterior.
Barbieri: Crónica de la lírica española y Fundación del Teatro de la Zarzuela (1839-1863). Edición de Emilio Casares. Teatro de La Zarzuela.
Casares a également publié le monumental Diccionario de la Música Espanola e Hispanoamericana avec Ismael Fernández de la Cuesta et José López-Calo, ainsi qu’un Dictionnaire de la zarzuela (2 volumes).



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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