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Un pari

Madrid
Teatro Real
03/17/2019 -  et 18*, 19, 20, 21*, 23, 24, 25, 26 mars 2019
Francesco Cavalli : La Calisto
Louise Alder/Anna Devin (Calisto), Monica Bacelli/Teresa Iervolino (Diana, Il Destino, Le Furie), Tim Mead/Xavier Sabata (Endimione), Luca Tittoto/Wolfgang Stefan Schwaiger (Giove), Nikolay Borchev/Borja Quiza (Mercurio), Karina Gauvin/Rachel Kelly (Giunone, Eternità), Guy de Mey/Francisco Vas (Linfea), Ed Lyon/Juan Sancho (Pane), Dominique Visse (Satirino, La Natura, Le Furie), Andrea Mastroni (Silvano)
Monteverdi Continuo Ensemble, Orquesta Barroca de Sevilla, Membres de l’Orchestre du Teatro Real, Ivor Bolton/Christopher Moulds (direction musicale)
David Alden (mise en scène), Paul Steinberg (décors), Buki Shiff (costumes), Pat Collins (lumières), Beate Vollack (chorégraphie)


L. Tittoto, L. Alder (© Javier del Real/Teatro Real)


La Calisto constituait un pari important dans la programmation du Teatro Real: c’est en effet la première fois qu’un Cavalli est présenté à Madrid. Il est vrai que Cavalli n’est pas un nom habituel. Et on peut dire qu’il vient d’être sauvé de l’oubli, tout comme Monteverdi, son maître, avant lui, il y a cinquante ans, grâce à Raymond Leppard – après tout, la découverte de la musique baroque fut l’affaire du XXe siècle. La Calisto, pourtant un chef d’œuvre, est l’un des ouvrages peu connus de Cavalli, dont la première n’a pas eu de lendemain – on ne reviendra pas ici sur les circonstances de cet échec. Or, il semble que le temps de Cavalli soit arrivé depuis la première de La Calisto à Glyndebourne, en 1970 (et, trois ans plus tôt, L’Ormindo).


Dans cette production, Madrid a pu entendre quelques voix pas tout à fait stylistiquement appropriées, un style – il faut le reconnaître – qu’on est en train d’élaborer (les artistes) et d’assimiler (nous, le public). Autrement dit, on sait si cela n’est pas Cavalli, avec une marge d’erreur, mais on ne sait pas parfaitement ce qu’est Cavalli.


Voyons donc les rôles-titres, les Calisto des deux distributions. La soprano de la première distribution, Louise Alder, commence ses lamenti (après la séduction du dieu travesti et avant de connaître la vérité, de la reconnaître) d’une façon délicate, un très bel équilibre entre filato et dynamiques faibles, entre l’amincissement du chagrin et le pianissimo de l’introspection. Anna Devin, dans la seconde distribution, dessine avec art l’espièglerie ingénue d’un personnage charmant qui, immédiatement après, prend conscience de soi. Deux voix aux beaux et clairs registres, très en style, mais des styles différents, qui construisent le personnage avec des qualités de chant assez dissemblables, chacune avec ses talents de comédienne. Et aussi avec la beauté particulière de l’une et de l’autre: face à la beauté suprême, voire excessive, mais sophistiquée et médiatiquement typée des supposées nymphes, celle d’Alder et Devin est la beauté qui convient pour l’amour... d’un dieu.


Mais la mise en scène montre une bellina – est-ce ainsi qu’on le disait à l’époque? – et, surtout dans la première distribution, avec Luca Tittoto en Jupiter, nous ne voyons pas le Don Juan avec son valet (Mercure), mais l’Amphitryon séduisant des électeurs modestes et trompés, en offrant de l’argent et des faveurs parmi le groupe féminin de la «ronde de nuit». Voilà une erreur de principe de la mise en scène, qui nous fait passer par plusieurs territoires avec le même décor mouvant: cela ressemble d’abord à un hall d’hôtel, puis à une discothèque; dans la seconde partie, une maison close de luxe remplie d’agiles belline berlusconiennes, aux petites oreilles de bestioles mécaniques, adoptant toutes sortes de postures et grimaces. Pour finir avec une parade de jeunes mariées, tout en blanc, comme une image médiatique dont le sens est, dans ce finale, un peu trop «déjà vu» ou peut-être en réalité un manque navrant d’imagination.



A. Devin (© Javier del Real/Teatro Real)


On voit même des images salaces: dans l’original de Faustini et Cavalli, il y a des clins d’œil, du cynisme, des signes d’hypocrisie, mais jamais de salacité. Les nymphes de Diane n’apparaissent pas dans l’original, et Calisto n’est pas enceinte (dans la tradition iconographique, certainement, pas dans l’opéra, et encore moins un accouchement, comme ici). Alden fait défiler ces huit créatures de mode déguisées comme des bêtes des bois, objet de la chasse des nymphes. Elles n’ont jamais l’apparence de feindre ou de croire aux bontés de la chasteté. Chez Alden, l’évidence du signe annihile le caractère ambigu de l’histoire: c’est excessif, de même que la manie de tant de metteurs en scène de déplacer l’action extérieure (forêt, bois, rivière, firmament) à l’intérieur de quatre murs, ici par des styles composites et des époques diverses, avec des touches tout à fait kitch.


Rien de nouveau, toutefois, car cette mise en scène, provenant de Munich, est bien connue. Le pari était tout à fait nécessaire, complètement légitime, mais le résultat est un peu décevant. Ce n’est pas une catastrophe, mais une proposition sans intérêt dont les «idées hardies» sont contraires, voire hostiles à la poétique de Faustini et Cavalli. La poétique de l’innocence sensuelle et aussi la critique des coutumes et des mentalités de l’époque, surtout l’hypocrisie: Calisto, belle et candide; Diane, dont la chasteté est pour la forme, mais elle-même en a marre; Jupiter, l’abus et le royaume du masculin augmentés par le pouvoir: donc, la magie, etc.


Si la partition originale ne compte que cinq ou six instruments, à cause des contraintes et limites de l’entreprise et du théâtre Saint-Apollinaire, il est inexcusable aujourd’hui de faire une édition, surtout parce qu’il n’y a pas de partition orchestrée. On sait bien qu’à l’époque, la ligne des voix et la basse suffisaient. Si je ne me trompe, Leppard fut le premier à orchestrer La Calisto: ses critères ne pouvaient que s’inscrire dans une conception sonore dont le niveau est tout à fait différent de nos jours, cinquante ans plus tard, grâce à toutes les découvertes, voire à la vogue des instruments anciens, des différences de nuances, d’attaques, de couleurs, y compris au regard des matériaux utilisés pour la facture des instruments. Au Teatro Real, et aussi à Munich et Londres, on utilise la version du Madrilène Alvaro Torrente, musicologue, professeur, formé à Salamanque, Londres et Cambridge, éditeur des œuvres de Cavalli avec Ellen Rosand (l’auteur du précieux livre Opera in Seventeenth-Century Venice: The Creation of a Genre) et Lorenzo Bianconi. La richesse de timbres était dans la fosse. Malheureusement, la direction musicale (pour l’ensemble, pour les acteurs et pour les voix) n’a pas été à la hauteur, ni avec Ivor Bolton ni avec Christopher Moulds, à cause principalement de sa pesanteur, particulièrement dans la première partie, ennuyeuse.


Il faut remarquer, dans le rôle d’Endimione, la très belle ligne de Tim Mead, dans la première distribution, et la prestation tout à fait formidable de Xavier Sabata dans la seconde. Monica Bacelli a été une Diane très convaincante aussi bien pour sa voix que comme comédienne; malheureusement son costume ne met pas pleinement en valeur ses charmes – ah, les costumes de Buki Schiff! mais passons... – et la direction d’acteurs la contraint à multiplier les grimaces comiques. Teresa Iervolino, dans la seconde distribution, a été une Diane un peu différente, avec sa personnalité et sa ligne, belle et semble-t-il un peu hors de style. Dominique Visse exagère dans son Satirino, un peu trop comique. Andrea Mastroni, satyre devenu centaure dans cette production, a une voix profonde et belle. Nikolay Borchev et Borja Quiza défendent bien leurs Mercure dans des costumes et des visages crûment dorés.


On aimerait bien voir un jour une Calisto avec une Linfea jeune, pas une dame âgée chantée par un homme, comme une tradition étrangère à l’original (depuis Leppard) semble l’avoir imposé, peut-être par la force de ce choix pour un personnage comme l’Arnalta de Poppée: le comique clownesque en serait atténué, mais l’humour, l’ironie et l’espièglerie seraient toujours là.


Malgré tout, cela valait la peine... et on ne fut pas «à la peine», absolument pas. Malgré tout, ce fut un plaisir. Cavalli doit être parmi nous, son œuvre, que nous connaissons au travers d’approximations ou parfois de vraies réussites, et par des enregistrements audio ou vidéo, nous en convainc depuis longtemps.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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