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Deux pianos ou un orchestre ? Geneva Victoria Hall 03/16/2019 - Serge Rachmaninov: Danses symphoniques, opus 45
Claude Debussy: En blanc et noir – Lindaraja – Prélude à l’après-midi d’un faune Martha Argerich, Stephen Kovacevich (pianos)
Si Martha Argerich et Stephen Kovacevich font partie de la même génération que Maurizio Pollini et Daniel Barenboim, leurs moyens techniques ont peu diminué et ils ne sont pas en « concurrence » avec le souvenir que l’on pourrait avoir de leurs prestations passées. Seul peut-être Beckmesser trouverait à regretter que Stephen Kovacevich, de l’époque où il était connu sous le nom de Bishop-Kovacevich, utilisait la pédale avec bien plus de parcimonie. Quand à Martha Argerich, elle est juste incroyable. Elle reste cette pianiste aux moyens que l’on connaît avec cette capacité à aller au bout des œuvres et de faire rebondir la musique comme une balle de caoutchouc ainsi que le faisait son professeur Friedrich Gulda.
Ce sont également deux artistes qui se connaissent bien. En plus d’avoir été un couple à la ville, ils ont souvent joué ensemble. Il suffit ainsi d’un petit regard de temps en temps pour que les parties s’équilibrent, les rubatos soient harmonieux et que les délicates attaques soient franches et carrées. La vitalité rythmique que demande le Rachmaninov est contagieuse. La qualité des harmonies du Prélude à l’après-midi d’un faune permet de créer une atmosphère chaleureuse et pleine de langueur. Dans de telles conditions, c’est finalement sur les œuvres qu’il est possible de se concentrer et s’il y a un souvenir à « combattre », c’est peut-être celui des pièces orchestrales dont ces œuvres sont issues. L’orchestre permet soit de faire intervenir des instruments qui tiennent le son, soit des instruments qui ont des couleurs qui leurs sont propres. Sans doute le souvenir de ce que faisaient les musiciens du Mariinsky sous la direction de Valery Gergiev est-il encore dans nos mémoires, mais on se prend à regretter ici et là la variété de couleurs des bois dans ce Prélude à l’après-midi d’un faune que les pianos ne peuvent recréer. De même, il y a dans le développement de plusieurs passages des Danses symphoniques des éléments qui sont fondés sur les options d’instrumentation. Certains passages semblent peu évoluer au piano alors que l’utilisation d’instruments différents est voulue par le compositeur.
Mais au final, cela ne fait que ressortir plus encore le génie des deux œuvres centrales de ce programme. Attention à ne pas sous-estimer la difficulté et la subtilité du trop rare Lindaraja dont la pulsation régulière triples croches – double croches ne doit pas faciliter la mise en place. Le sommet de cette soirée est la suite En blanc et noir. Ici, la magie des interprètes est de nous faire découvrir l’incroyable imagination des harmonies de Debussy et la subtilité rythmique de l’écriture. Quand à la partie centrale, elle rappelle les impressions nocturnes qu’un Bartók, un des compositeurs dans lesquels Steven Kovacevich s’est tant illustré, va nous donner dans sa suite En plein air.
La salle de Victoria Hall était pleine à craquer pour cette soirée. Il y avait, plus qu’à l’habitude, des représentants de toutes les générations. Les deux artistes récompensent leur public avec une Valse des Liebeslieder de Brahms suivei de la première pièce (« En bateau ») de la Petite Suite de Debussy, une merveille de retenue et de poésie.
Antoine Lévy-Leboyer
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