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La Gioconda enfin de retour à la Monnaie

Bruxelles
La Monnaie
01/29/2019 -  et 30 janvier, 1er, 3*, 5, 6, 8, 10, 12 février 2019
Amilcare Ponchielli: La Gioconda, opus 9
Béatrice Uria-Monzon/Hui He* (La Gioconda), Silvia Tro Santafé/Szilvia Vőrős* (Laura Adorno), Stefano La Colla/Andrea Carè* (Enzo Grimaldo), Franco Vassallo/Scott Hendricks* (Barnaba), Ning Liang (La Cieca), Jean Teitgen (Alvise Badoèro), Roberto Covatta (Isèpo), Bertrand Duby (Zuàne, Un pilota), Bernard Giovani (Un Barnabotto, Una voce), René Laryea (Un cantore), Alejandro Fonté (Une voce)
Académie des chœurs de la Monnaie, Chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Paolo Carignani (direction)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Baus)


Depuis le début de cette saison, de grands noms de la mise en scène défilent à la Monnaie. Suivant Romeo Castellucci, Krzysztof Warlikowski et Laurent Pelly, Olivier Py règle une nouvelle production de La Gioconda (1876), moins d’un an après Lohengrin. Et c’est un événement: cet opéra de Ponchielli, le seul de son auteur à se maintenir au répertoire, brillait par son absence sur la scène bruxelloise depuis 1939.


Olivier Py, qui ne craint pas la démesure, se fait plaisir, et nous aussi. La décadence, le mal, la mort: voici les principaux ingrédients de son interprétation du livret d’Arrigo Boito, tiré d’une pièce de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue. Sa mise en scène, très maîtrisée, comme à son habitude, s’inscrit dans des décors typiques de l’esthétique de Pierre-André Weitz qui collabore très, voire trop souvent avec lui. Le noir et le gris dominent cette scénographie dont seule l’eau recouvrant en permanence le plateau évoque Venise, et s’il n’y a pas d’échafaudage, elle comporte bel et bien des tubes de néon et une passerelle. L’effet de perspective provoqué de temps à autres par la modularité du décor produit un effet saisissant, de même que la présence effrayante d’un danseur portant un masque de clown d’une taille disproportionnée – cette tête de Joker réapparait à la fin, encore plus grande.


Comme il a déjà pu le démontrer dans un opéra de grande envergure comme Les Huguenots, le metteur en scène excelle dans les grands tableaux, et La Gioconda n’en manque pas, mais les épisodes plus intimistes laissent plutôt circonspect, car ils donnent trop l’impression de reposer avant tout sur les compétences des chanteurs. Mais Olivier Py ne s’égare pas dans son cheminement intellectuel. En dépit de la complexité de l’intrigue et de la densité des notes d’intention, ce spectacle captivant se révèle limpide, et il suffit de se laisser porter par la musique et l’action – et quel soulagement d’admirer une production, pour une fois, sans vidéo, ni inscriptions. Que les parents désireux d’initier à l’opéra leur jeune et prude progéniture prennent toutefois garde: comment souvent avec ce metteur en scène, le spectacle contient de la nudité, surtout masculine, parfois un peu gratuite, ce qui plaira probablement aux spectatrices et à une partie des spectateurs, ainsi qu’un viol collectif, en particulier dans la célèbre «Danse des heures», que la chorégraphie transcende de manière quasiment géniale. De toute évidence, Olivier Py, qui ne cherche pas à renouveler son approche de l’opéra, maîtrise son sujet et La Gioconda devait tôt ou tard figurer à son palmarès – les Toulousains pourront l’admirer l’année prochaine.


Comme cet ouvrage relativement long impose de grandes exigences aux principaux interprètes, la Monnaie prévoit une double distribution. Soprano à la voix puissante et au chant solide, Hui He possède assurément la tessiture requise pour le rôle-titre, avec des graves somptueux et des aigus irréprochables. Si les capacités vocales ne laissent guère planer de doute, malgré une adéquation stylistique perfectible avec ce répertoire, la composition du personnage laisse trop indifférent, à cause d’un jeu scénique peu marquant – nous aurions préféré voir Béatrice Uria-Monzon. Le constat s’applique également à la prestation de Szilvia Vőrős: sur le plan théâtral, sa Laura peine à convaincre, mais cette mezzo-soprano au timbre capiteux et à la tessiture homogène fait valoir d’incontestables qualités – fermeté de la ligne, clarté de l’émission, netteté du phrasé.


La voix de Scott Hendricks, qui figure souvent à l’affiche des productions de la Monnaie, épouse étroitement la psyché maléfique de Barnaba, mais dans un style interprétatif quelque peu ordinaire. Sur le plan de l’investissement, il s’agit toutefois d’une nouvelle prise de rôle pleinement assumée à porter à l’actif du baryton américain. Incompréhensiblement hué par quelques malotrus, à moins que quelque chose ne nous échappe, Andrea Carè compose un Enzo élégant. Ce ténor au timbre séduisant et au chant raffiné se distingue aussi bien dans la vaillance que dans l’effusion. Dans le rôle de la Cienca, Ning Liang complète la distribution avec beaucoup de science vocale et d’habilité scénique, tandis que l’excellent Jean Teitgen campe un éminent Alvise, à l’impact saisissant et à la ligne vocale disciplinée. Dommage que Martino Faggiani n’apparaisse pas au salut car ce dernier a encore accompli un excellent travail avec les choristes, qui atteignent un haut niveau de cohésion et de finition.


Autre motif de satisfaction, et non des moindres: la direction compétente et inspirée de Paolo Carignani, soucieux de clarté et d’équilibre. Le jeu intense et la sonorité raffinée d’un orchestre tout à fait précis permettent de prendre conscience des qualités d’écriture de Ponchielli, et éclairent en même temps la position particulière de La Gioconda, entre Verdi et Puccini – un de ses élèves –, sans que cette œuvre adopte à proprement parler le style et le langage du premier. Le chef confère ainsi beaucoup de souffle et de classe à cet opéra singulier qui revient glorieusement au répertoire de la Monnaie.



Sébastien Foucart

 

 

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