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Mauvaises influences Vienna Konzerthaus 01/30/2019 - et 31 janvier 2019 Robert Schumann: Concerto pour piano, opus 54
Dimitri Chostakovitch: Symphonie n° 10, opus 93 Yuja Wang (piano)
Wiener Symphoniker, Lorenzo Viotti (direction)
Y. Wang (© Kirk Edwards)
Yuja Wang nous avait jusqu’à présent habitués à un goût musical très sûr, reposant sur une assise rythmique à toute épreuve; au cours de sa résidence de deux semaines au Konzerthaus de Vienne, autant dire une éternité dans l’échelle de temps de la pianiste, nous avions pu notamment être émerveillé par sa performance dans la Sonate pour violon et piano de Strauss (voir ici). Le public pouvait donc être à juste titre déconcerté par ce Concerto de Schumann mal ficelé, sans colonne vertébrale et noyé dans un romantisme tape-à-l’œil. Un début précipité, suivi d’un épisode méditatif qui égrène chaque note, délaissant toute notion de pulsation; une soudaine et brutale relance vers le tutti, à nouveau dissous une poignée de mesures plus tard: chaque notation agogique semble dicter le tempo du moment (marcato très vite; espressivo très lent), sans se soucier ni d’où on vient ni vers quoi on va. Le ritardando de l’orchestre qui introduit la modulation en la bémol majeur s’effondre, tentant vainement de faire la jonction entre des sections disjointes. Le deuxième mouvement, entamé sur un tempo viable, part à la dérive dès la troisième mesure et se noie définitivement à l’entrée du chant des violoncelles, qui tentent de placer des quatrièmes temps à rallonge. Le finale fonctionne généralement mieux, la motorique des thèmes forçant le piano à filer droit, à condition de se satisfaire d’une conception scintillante quasi mendelssohnienne. Hélas, c’est aussi là où l’orchestre fait le plus défaut: difficultés à recoller avec le soliste, un second thème aux longueurs de notes indéfinies, accompagnements des cordes à la rythmique hasardeuse, flottements dans la section fuguée. La coda est quant à elle torpillée par un immense coup de frein induit par l’apparition du dernier dolce.
On devine derrière ces choix interprétatifs la tentative de créer un dialogue interne qui refléterait les facettes schizophréniques de la personnalité du compositeur: mais cette réalisation saute à pieds joints dans chacun des pièges de la partition. Bon nombre de lectures rigoureuses ont démontré, ces dernières années, la logique des tempos et la qualité de l’orchestration de la musique de Schumann, deux qualités absolument imperceptibles dans le concert de ce soir. Un chef d’orchestre à la personnalité musicale affirmée aurait certainement remis de l’ordre dans cette barque schumanienne, mais entre un Lorenzo Viotti qui se complaît dans l’instant présent et une Yuja Wang décidée à en découdre avec l’hyper-romantisme, l’influence réciproque est pernicieuse et fait boule de neige. Ceci dit, les deux bis qui suivirent – la Deuxième des Romances sans paroles de l’Opus 67 de Mendelssohn et un arrangement de Tea for Two – furent excellents.
En comparaison, la Dixième Symphonie de Chostakovitch paraît marcher toute seule: l’œuvre fait en tout cas impression, les points culminants sont intenses et bien soutenus, on a bien le sentiment qu’il se passe «quelque chose». La musique de Chostakovitch gagnerait toutefois à dépasser le premier degré – c’est joué avec un sérieux un peu raide, sans beaucoup de recherche de timbres et quelques fragilités dans les solos. Mais cela offre un contraste salvateur avec les excès de la première partie.
Dimitri Finker
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