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Chostakovitch aux confins

Strasbourg
Palais de la musique et des congrès
01/24/2019 -  et 25* janvier 2019
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violoncelle n° 2 en sol mineur, opus 126 – Symphonie n° 15 en la majeur, opus 141
Jean-Guihen Queyras (violoncelle)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


J.-G. Queyras (© Marco Borggreve)


La Quinzième Symphonie de Chostakovitch reste une grande délaissée des salles de concert, sans doute parce que l’on trouve toujours un autre opus symphonique du compositeur à programmer prioritairement avant. Le vif intérêt que peut susciter ce bref cycle Chostakovitch proposé par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, en trois programmes, donnés à chaque fois à une semaine d’intervalle, avec au menu les Quinzième, Quatorzième et Treizième Symphonies, est tout particulièrement aiguisé par cet opus ultime, étrange partition construite assez classiquement en quatre mouvements mais où rien ne fonctionne comme attendu.


Le compositeur parlait au moment de la création d’une sorte de « magasin de jouets » pour décrire le premier mouvement, assez ludique à l’image de son premier thème de flûte, dont la simplicité apparente résonne comme une signature. Tout à coup une citation textuelle aux cuivres de l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini fait sursauter, puis l’inventaire reprend, sans caractère bien systématisé mais avec toujours un art consommé de la transition, soit délibérément abrupte soit harmoniquement malicieuse. Un humour qui ne préfigure en rien la densité des deux mouvements pairs, à chaque fois marqués Adagio, où le compositeur laisser errer sa plume pour créer des formes musicales étranges et fantomatiques. L’écriture concertante réservée à de nombreux pupitres dans cette symphonie (flûte, violon, trombone, tuba...) se précise encore, avec de sublimes passages réservés au violon et au violoncelle solo. Des mélodies à chaque fois imprévisibles, en partie parce que Chostakovitch s’y laisse tenter par la série de douze sons, mais toujours dotées d’une forte prégnance du fait de la raréfaction du contexte. Cette musique à la fois désertique et lumineuse, fortement colorée, fait irrésistiblement penser à certains tableaux surréalistes (notamment les déserts parsemés de totems aux formes anguleuses d’Yves Tanguy, dont le titre de l’une des toiles, Jour de lenteur, serait parfaitement approprié ici). Dans le dernier Adagio, l’itinéraire fluctue encore davantage, avec un forte citation wagnérienne de la mort de Siegfried puis un curieux fragment de Tristan qui bifurque immédiatement sur de curieuses broderies trottinantes. Et puis survient tout aussi brutalement un de ces monstrueux climax crescendo dont Chostakovitch garde le secret, avant un ultime retour à la quincaillerie ludique du groupe des percussions, sur fond d’orchestre raréfié.


Une partition marquée par l’ange du bizarre, que l’on est d’ailleurs retourné écouter le lendemain soir pour tenter de mieux s’y orienter. A chaque fois, sous la baguette très engagée et précise de Marko Letonja, l’orchestre s’y confronte avec de très beaux moyens techniques. Si l’on peut déplorer lors du second essai un rien de relâchement (une trompette hasardeuse et une rangée de cuivres un peu moins soudée), on note toutefois en compensation une densité plus violente (la prodigieuse montée en puissance du dernier mouvement). Dans les deux cas, des exécutions passionnantes, auxquelles d’ailleurs le public semble bien adhérer, en dépit du caractère souvent déconcertant du propos.


En première partie de ce programme intégralement réservé à Chostakovitch, le Second Concerto pour violoncelle (oui l’ « autre », celui qu’on joue peu, contrairement au Premier, plus entraînant, plus facile d’accès, mais aussi d’écriture plus sommaire). Là encore une musique tardive et puissamment originale par delà ses banalités apparentes, avec de nombreux échanges inattendus entre le violoncelle concertant et certaines zones de l’orchestre inhabituellement sollicitées (les deux cors, qui charrient de nets relents britteniens, les deux harpes, les deux bassons, voire une étrange cadence du soliste ponctuée de coups de grosse caisse). Dans cette partition conçue pour la carrure et la sonorité « hénaurmes » de Mstislav Rostropovitch, Jean-Guihen Queyras, qui inaugure là sa période de soliste en résidence auprès de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, paraît flotter un peu, d’un archet précis mais qui n’a pas toujours la puissance de projection nécessaire. L’équilibre avec l’accompagnement n’est pas non plus facile à trouver, aussi parce que la direction de Marko Letonja n’arrive pas systématiquement à obtenir une transparence idéale qui permettrait de percevoir clairement non seulement la ligne soliste mais aussi de nombreux détails très intéressants de l’orchestre (les interventions les plus virtuoses des bassons, par exemple). Certaines fluctuations paraissent toutefois mieux maîtrisées le second soir, peut-être aussi parce que le soliste joue cette fois avec la partition sous les yeux et se sent vraisemblablement plus à l’aise ainsi.


Très beaux bis, Prélude de la Deuxième Suite de Bach le premier soir, et le vétilleux Prélude de la Sixième Suite le second soir, encore suivi du cursif et fascinant Ombres de György Kurtág. Petit détail insolite : ni l’une ni l’autre de ces deux dernières pièces d’époques très différentes n’ont été écrites pour le violoncelle, puisque celle de Bach l’a été pour un instrument baroque particulier comportant davantage de cordes, et celle de Kurtág pour une viole de gambe.



Laurent Barthel

 

 

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