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Un Offenbach semi-sérieux à redécouvrir

Montpellier
Opéra-Comédie
12/21/2018 -  et 23 décembre 2018, 4, 6 janvier 2019
Jacques Offenbach: Fantasio
Rihab Chaieb (Fantasio), Julien Véronèse (Le roi de Bavière), Sheva Tehoval (La princesse Elsbeth), Armando Noguera (Le prince de Mantoue), Enguerrand de Hys (Marinoni), Alix Le Saux (Flamel), Régis Mengus (Sparck), Sahy Ratia (Facio), Charles Alves da Cruz (Max), Xin Wang (Hartmann), Bruno Bayeux (Rutten, Le tailleur, Le garde suisse)
Chœur Opéra national Montpellier Occitanie, Noëlle Gény (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Occitanie, Pierre Dumoussaud (direction musicale)
Thomas Jolly (mise en scène), Alexandre Dain (collaboration artistique), Katja Krüger (reprise de la mise en scène et dramaturgie), Pier Lamandé (assistant à la mise en scène pour le chœur), Thibaut Fack (décors), Sylvette Dequest (costumes), Antoine Travert, Philippe Berthomé (lumières)


(© Marc Ginot)


Promoteur reconnu de Jacques Offenbach à travers le monde, le musicologue et chef d’orchestre Jean-Christophe Keck n’a de cesse de démontrer combien ce compositeur est bien davantage que «l’amuseur du Second Empire» – un sobriquet dont l’ont affublé ses nombreux ennemis jaloux de son succès. La présentation récente de l’opéra romantique Les Fées du Rhin (1864), à Tours a permis de rappeler combien Offenbach avait cherché à se donner les lettres de noblesse attachées au répertoire dit sérieux, bien avant le succès posthume obtenu avec Les Contes d’Hoffmann. C’est précisément dans ce dernier ouvrage que le «petit Mozart des Champs-Elysées» a opportunément réincorporé plusieurs pans entiers de son Fantasio, dont l’échec à la création en 1872 avait stoppé net la carrière. Cette adaptation de la pièce de Musset pourra décevoir les puristes, tant les modifications apportées en estompent son esprit, que ce soient la charge contre l’Eglise, ici absente, ou la clarification de la relation amoureuse entre la princesse et Fantasio, ici exprimée. Pour autant, on retrouve dans cet ouvrage semi-sérieux une part de la mélancolie de Musset, préservée dans des dialogues parlés non modernisés – contrairement à ce qu’ont réalisé les productions du duo Minkowski/Pelly ou les récents Barkouf à Strasbourg et La Belle Hélène à Nancy.


On a souvent rappelé combien le succès de Fantasio avait souffert de la défaite française de 1870. Imaginée avant ces événements, l’adaptation de la comédie de Musset pouvait paraître opportune, tant le mariage pour raison d’Etat, au centre de l’action, évoque l’incapacité française d’alors à obtenir le soutien décisif de la Bavière face à la Prusse. Le vrai-faux mariage entre la Princesse Elsbeth et le Prince de Mantoue ne moque-t-il pas les hésitations de Louis II de Bavière, incapable de choisir une épouse? Il faut en effet se rappeler que le souverain mélomane appelait sa future promise (finalement répudiée) «Elisabeth», du nom de l’héroïne de Tannhaüser: d’Elsbeth à Elisabeth, la proximité n’a dû paraître que trop savoureuse à Offenbach... Quoi qu’il en soit, la défaite sonne le glas de la satire, imposant l’ajout en fin d’ouvrage d’un plaidoyer pour la paix entre les nations.


Suite à la version de concert donnée par le festival de Montpellier en 2015, Montpellier a de nouveau l’occasion de découvrir la partition de Fantasio, telle que le public de l’Opéra-Comique avait pu l’entendre à sa création (à une exception près cependant: l’ajout de la romance de Fantasio «Pleure», supprimée lors des répétitions par le compositeur). Cette fois, l’Opéra de Montpellier nous donne le confort visuel d’une mise en scène qui, bien qu’imparfaite, remplit son office. Il s’agit de la reprise d’un spectacle de l’Opéra-Comique présenté au Théâtre du Châtelet à Paris en 2017, puis repris à Rouen et Genève, avant Zagreb probablement en 2020.


S’agissant d’une reprise non réglée par le metteur en scène Thomas Jolly (ce qui ne l’empêche de venir saluer en fin de représentation avec son équipe), difficile de démêler ce qui relève de ses choix initiaux ou des maladresses de la reprise proprement dite. Quoi qu’il en soit, on s’agace en début d’ouvrage des nombreux bruits parasites occasionnés par les mouvements du chœur sur scène, les chutes d’objet nombreuses, ainsi que les déplacements à vue des éléments de décor pendant les dialogues. La scénographie de Thibaut Fack, ancien assistant d’Olivier Py et Pierre-André Weitz, séduit pourtant d’emblée par ses éléments révélés dans la pénombre, évoquant les débuts du cinématographe, les guinguettes et la fin du XIXe siècle dans l’esprit de la poésie visuelle d’un Michel Ocelot. Malheureusement, on peine souvent à percevoir qui s’exprime, du fait d’éclairages tamisés redondants pendant tout le spectacle, sans parler d’une direction d’acteur débraillée qui n’aide pas à éclaircir la lisibilité de l’action. Fallait-il à ce point exagérer les peu subtils accents, allemand pour l’un, cabotin façon Christian Clavier pour un autre? A l’instar de son autre mise en scène lyrique (Eliogabalo donné à l’Opéra Garnier en 2016 ici), Thomas Jolly ne convainc donc qu’à moitié, même si on notera, en fin de représentation, l’accueil chaleureux du public, manifestement séduit par son travail.


Il est vrai que le plateau vocal réuni à Montpellier, différent de ceux entendus à Paris, Rouen et Genève, parvient à se hisser à la hauteur de l’événement que constitue cette recréation scénique. La canadienne Rihab Chaieb, avec un léger accent québécois, s’impose dans le rôle-titre par la rondeur de son émission et sa voix ample. Elle n’est pas en reste au niveau théâtral, tout comme Sheva Tehoval, qui parvient à dépasser une certaine prudence en début de représentation pour composer une Elsbeth à l’agilité rayonnante dans l’aigu. A ses côtés, Armando Noguera se joue de son rôle de prince de Mantoue avec une aisance vocale confondante, presque surdimensionnée dans ce répertoire, tandis que Régis Mengus (Sparck), habituellement plus assuré, se montre plus en retrait au niveau de la projection. Mais n’est-ce pas là aussi le fait du jeune chef d’orchestre Pierre Dumoussaud? Sa direction raide et tonitruante dans les parties verticales couvre à plusieurs reprises les chanteurs, alors que les parties apaisées brillent en contraste d’un raffinement et d’une subtilité bienvenus. L’ancien élève de l’excellent Alain Altinoglu n’a-t-il pas remporté le premier prix des «Talents chefs d’orchestre» de l’Adami en 2014? Après l’entracte, les défauts susmentionnés apparaissent en grande partie gommés: de quoi nous convaincre que l’équilibre souhaité sera obtenu lors des prochaines représentations montpelliéraines, à découvrir jusqu’au 6 janvier 2019.



Florent Coudeyrat

 

 

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