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Toulouse en voyage -bien- “organisé”

Toulouse
Eglise des Augustins…
10/05/2001 -  Du 5 au 21 octobre
Œuvres de Gabrieli, Buxtehude, Gade,Hændel…
Chœur de la Chapelle Royale de Copenhague, Ensemble Concerto Strumentale, Mala Punica, Orchestre Baroque de l'Union Européenne…

Voyage “De la Baltique à l’Adriatique”, du Danemark à l’Italie, telle était la thématique très européenne de cette sixième édition du festival “Toulouse les Orgues”. Voyage géographique, mais aussi voyage dans le temps, du moyen-âge au XX° siècle, avec une très large part faite, cette année, à Dietrich Buxtehude.
En tout, près d’une cinquantaine de manifestations, concerts, masterclasses, conférences, étaient prévues à Toulouse et dans sa région -même si les chroniques de Gilles Cantagrel ont été annulées pour de mystérieuses raisons- ce qui fait de ce festival l’un des plus riches qui se puissent imaginer.
L’aspect le plus intéressant de la programmation était sans doute cette extrême diversité historique des concerts, faisant de certains de passionnantes reconstitutions qui vous plongeaient dans des atmosphères musicales fortement dépaysantes.

Dépaysement total, en effet, avec le concert de l’ensemble Mala Punica que dirigeait Pedro Memelsdorff, consacré au Codex Faenza. En fait Codice 117 Bonadie, conservé à la bibliothèque municipale de Faenza, le Codex Faenza est un manuscrit du début du quinzième siècle consacré à des transcriptions pour clavier de compositions vocales sacrées ou profanes datant essentiellement de l’Ars Nova, à la fin du Moyen-âge. Donnée ici en version chantée accompagnée par un clavier et un petit ensemble d’instruments, ce Codex donne une image fascinante de la richesse des ornements, ou diminutions, dont les compositeurs enguirlandaient leur musique. Ce foisonnement ininterrompu qui s’entrelace au chant était magnifiquement servi par l’organiste Pablo Kornfeld, mais il est dommage que, parfois, l’ensemble instrumental ait eu quelques problèmes de mise en place, que l’on imagine en effet périlleuse, d’autant que l’acoustique très réverbérée de l’Eglise des Jacobins n’aidait guère à éclaircir ce foisonnement. Mais l’atmosphère de recueillement en rien austère qu’impose cette musique est une vraie découverte, par son exubérante beauté. Pour en savoir plus sur ce Codex, le site de la Bibliothèque de Faenza vous donnera quelques explications, mais en italien seulement…

Dépaysement encore, avec le concert de clôture, entièrement dédié lui à la musique des grandes fêtes vénitiennes composée par Giovanni Gabrieli. La Cathédrale Saint-Etienne n’est pas, loin s’en faut, Saint Marc et l’on aurait quelque mal à trouver dans cette construction étrange et laide, à moitié inachevée et dont les murs gris et tristes suintent l’ennui, une évocation des richesses de Venise à son apogée. De plus, par son étrange structure en deux rectangles non alignés, elle dispense une acoustique extrêmement confuse qui la rend véritablement impropre à l’organisation de concerts. C’est dire si la tâche était rude pour le pourtant excellent Jean Tubéry et les ensembles La Fenice et Les Sacqueboutiers de Toulouse. De plus, l’ensemble vocale Les Éléments, d’ordinaire parfait, a montré ici quelques faiblesses criantes, c’est vraiment le cas de le dire s’agissant de certaines sopranos, mises à mal dans l’aigu.
Pourtant, le plus beau moment du concert fut un magnifique passage choral où les chanteurs retrouvèrent leur maîtrise habituelle. Il est vraiment dommage que la majorité du programme fut noyée en un brouhaha continuel, qui ne donnait à entendre qu’un vague magma au lieu de la richesse contrapunctique des 14 ou 22 voix de Gabrieli.

Dans une optique plus classique, deux concerts furent fort réussis. Le concert d’ouverture permettait d’entendre la très remarquable Maîtrise de la Chapelle Royale de Copenhague dirigée par Ebbe Munk, dans un concert d’œuvres rares de Nielsen ou Gade. À une grande perfection d’intonation et une mise en place parfaite, cette maîtrise ajoute une approche moins uniment angélique que celle des forts célèbres maîtrises anglaises, au style souvent froid et sans chair. Ici, tant de perfection n’empêchait pas un investissement plus volontaire et une approche retenue mais énergique. Les œuvres de Carl Nielsen permettaient de découvrir trois motets d’inspiration très 16° siècle, et une pièce pour orgue Commotio interprétée par Niels Henrik… Nielsen! où l’on retrouvait son style plus habituel. Les œuvres pour orgue de Gade sont par contre une totale déception, sans rien de la fraîcheur de ses Aquarelles pour orchestre ou piano. Excellente surprise par contre avec un complet inconnu, Peter Erasmus Kange-Müller, dont les Psaumes et chansons montrent un compositeur très habile, au style empreint d’un nostalgie très Biedermeier.

On connaît Roy Goodman pour son infatigable activité de chef d’orchestre et des enregistrements parfois admirables, ceux qu’il a signé avec le Hanover Band, ou criticables, ceux consacrés au répertoire plus tardif. Mais on n’a guère idée de la présence que dégage sa carrure de lutteur formidable, plein d’une ardeur que l’on devine irrépressible et pourtant souriant, boxant la musique avec une énergie farouche sans jamais la brusquer. Rien de moins précieux que son Rebel ou son Rameau, mais une vigueur que l’on rencontre rarement dans l’interprétation de la musique française classique. Quant à la Cantate BWV 210 “Du Mariage” de Bach et au Gloria de 1707 de Händel, dont c’était la première exécution en France après sa récente redécouverte, ils bénéficiaient d’une approche pleine de panache, débordante de vitalité. On doit saluer particulièrement la remarquable qualité de l’Orchestre Baroque de l’Union Européenne, un orchestre de jeunes qui jouent comme de vrais “pros”, mieux même car avec une flamme et un plaisir rares. La charmante soprano belge Sophie Karthäuser, joli voix et fort joli minois, a connu un très grand succès auprès d’un public conquis. Doté d’un timbre très clair et fruité, d’une technique très bien maîtrisée dans les vocalises, cette très jeune chanteuse est de plus doté d’un physique, disons… avenant, qu’elle illumine d’une expression de friponnerie impertinente qui ajoutait un certain sel au texte de la Cantate du Mariage : “Va-t’en, mélancolie, va-t-en, tristesse! Le ciel qui veille sur nous, vous a créés pour notre plaisir!” Puisse le ciel être entendu!

Toute frivolité mise à part, on peut regretter que les événements tragiques que l’on sait aient nui au succès du festival. Si l’on peut, encore cette année, rester réservé quant au choix de lieux qui ne se prêtent guère à l’organisation de concerts, les églises toulousaines ayant dans l’ensemble une très médiocre acoustique, il n’en est pas moins certain que ce festival très riche et original dans sa conception mérite la curiosité du mélomane aventureux.


Laurent Marty

 

 

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