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Otello pour le Shakespeare et le meilleur München Nationaltheater 11/23/2018 - et 28 novembre, 2, 6, 10, 15*, 21 décembre 2018, 12, 15 juillet 2019 Giuseppe Verdi : Otello Jonas Kaufmann (Otello), Gerald Finley (Jago), Evan LeRoy Johnson (Cassio), Galeano Salas (Roderigo), Bálint Szabó (Lodovico), Milan Siljanov (Montano), Markus Suihkonen (Un Araldo), Anja Harteros (Desdemona), Cristina Damian (Emilia)
Chor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper, Jörn Hinnerk Andresen (préparation), Bayerisches Staatsorchester, Kirill Petrenko (direction musicale)
Amélie Niermeyer (mise en scène), Christian Schmidt (décors), Annelies Vanlaere (costumes), Olaf Winter (lumières), Philipp Batereau (vidéos), Thomas Wilhelm (chorégraphie), Malte Krasting, Rainer Karlitschek (dramaturgie)
J. Kaufmann, A. Harteros (© Wilfried Hösl)
Evénement de cette fin d’année lyrique 2018, la nouvelle production d’Otello de l’Opéra d’État de Bavière était attendue avec impatience. Si la proposition scénique laisse perplexe, la partie musicale et vocale du spectacle n’appelle que des éloges, tant elle tutoie les sommets. Amélie Niermeyer a imaginé le chef-d’œuvre de Verdi comme un huis clos intimiste, un drame bourgeois décrivant les affres et les tourments psychologiques d’un couple en crise bien avant le lever de rideau. Ici tout tourne autour de Desdémone, présente sur scène du début jusqu’à la fin. Pendant la tempête initiale, elle arpente en long et en large la chambre dans laquelle elle se trouve, tendue à l’extrême. Otello arrive l’air fatigué, voûté, comme absent. Ce qui est déjà un non-sens car il lance un « Esultate » triomphant. Le reste est à l’avenant. Le héros ne cache pas son embarras en retrouvant Desdémone, laquelle ne paraît pas non plus particulièrement ravie de revoir son époux. Le couple ne se touche pas, Desdémone ne faisant qu’essuyer le front d’Otello à l’aide d’un mouchoir. L’action est transposée dans les différentes pièces de la demeure du couple. Des projections vidéos qui se superposent traduisent la confusion des sentiments des protagonistes. A la fin, Otello se donne la mort devant un lit vide, Desdémone est, quant à elle, étendue sur un autre lit, loin derrière lui. On l’aura compris, tout ici est intellectualisé et intériorisé, à des années-lumières de la fureur et du tourbillon qui caractérisent le drame imaginé par Shakespeare.
Et pourtant, le drame est bel et bien là, porté à son meilleur par les musiciens et les chanteurs. Dans la fosse, Kirill Petrenko a l’art de ne jamais briser la continuité dramatique et offre une lecture architendue, mais claire et précise, une lecture très contrôlée aussi, même dans les passages fortissimo, une lecture qui déploie des trésors de raffinement et de couleurs et qui permet d’entendre des nuances insoupçonnées. Rien que pour cette direction musicale hors pair, le spectacle vaut le détour. De même que pour la distribution vocale, de tout premier ordre. On mentionnera d’abord Gerald Finley en Jago certes diabolique, mais subtil et insidieux, virevoltant de personnage en personnage, séduisant chacun, femme ou homme, pour mieux instiller son poison. L’interprète est particulièrement expressif et attentif à chaque mot, à chaque inflexion. Anja Harteros incarne une Desdémone toujours triste et mélancolique, émouvante et intense, avec des aigus lumineux et une ligne de chant parfaitement maîtrisée sur toute la tessiture. Enfin, Jonas Kaufmann campe un Otello tout en nuances, rayonnant dans les aigus, mais surtout vibrant et touchant dans ses nombreux pianissimi impalpables, un anti-héros en quelque sorte. Petrenko, Finley, Harteros, Kaufmann... un poker d’as pour un Otello exceptionnel, au niveau musical du moins.
Claudio Poloni
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