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Dans l’esprit du genre Nancy Opéra 12/14/2018 - et 16, 18, 21, 23 décembre 2018 Jacques Offenbach: La Belle Hélène Mireille Lebel (Hélène), Philippe Talbot (Pâris), Eric Huchet (Ménélas), Franck Leguérinel (Agamemnon), Boris Grappe (Calchas), Yete Queiroz (Oreste), Raphaël Brémard (Achille), Christophe Poncet de Solages (Ajax I), Virgile Frannais (Ajax II), Léonie Renaud (Parthoénis), Elisabeth Gillming (Léoena), Sarah Defrise (Bacchis)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chœur), Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Laurent Campellone (direction)
Bruno Ravella (mise en scène), Giles Cadle (décors), Gabrielle Dalton (costumes), Malcolm Rippeth (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)
(© Opéra national de Lorraine)
Cette saison, l’Opéra national de Lorraine démarre les festivités à l’occasion du centenaire du théâtre, inauguré le 14 octobre 1919 avec Sigurd de Reyer, opéra que l’institution nancéenne montera l’année prochaine, en octobre, pour clore les célébrations. Il existe cependant une activité lyrique dans la cité lorraine depuis bien plus longtemps, ce que relate une intéressante exposition à la Galerie Poirel, jusqu’au 24 février, « Opéra! 3 siècles de création à Nancy », laquelle nous apprend, notamment, que le bâtiment actuel succède à un édifice détruit par les flammes en 1906.
Né en 1819, Offenbach sera aussi à l’honneur l’année prochaine, mais Nancy n’attend pas et programme déjà La Belle Hélène (1864) en ce festif mois de décembre. Après avoir mis en scène ici-même L’Heure espagnole/Gianni Schicchi en 2016 et Werther en 2017, Bruno Ravella livre son interprétation de cet opéra bouffe en citant comme références les années 60, les films d’espionnage, la bande dessinée et les jeux télévisés. Il en respecte l’esprit du genre, tout comme Alain Perroux a adapté les dialogues pour les rendre plus actuels (ubérisation, Instagram, Koh-Lanta), ce qui produit, sans doute volontairement, quelques anachronismes – la mise en scène épargne prudemment les personnalités politiques françaises actuellement en fonction, et le plateau ne comporte aucun gilet jaune.
Pâris, un agent secret, se voit investi d’une importante mission, celle d’enlever Hélène. L’aventure se déroule dans une sorte de république bananière dans laquelle les figures royales constituent de véritables personnages d’opérette, d’ailleurs de manière très caricaturale, ce que renforce un jeu de scène artificiel et outrancier – excellent moment, toutefois, que cette séquence du jeu télévisé, critique acerbe de l’abrutissement des masses et de la superficialité des célébrités. Nous aurions cependant préféré une scénographie encore plus cohérente afin de renforcer l’impression de se plonger dans les sixties, et surtout que cette production adopte un ton encore plus enlevé et subversif. Malgré une conception trop sage, ce spectacle parfaitement conçu pour les fêtes de fin d’année se révèle fluide et précis, preuve d’une préparation approfondie et rigoureuse.
L’Opéra national de Lorraine réunit une distribution francophone, ce qui est la moindre des choses dans ce genre d’œuvre qui souffre irrémédiablement de la moindre diction défaillante. Rien de tel, ici, malgré le regret de ne plus entendre cette manière si particulière de prononcer naguère le français, comme dans ces vieilles émissions radiophoniques de l’ORTF. L’Hélène de Mireille Lebel constitue la seule relative déception de cette production, malgré l’engagement et le physique avenant de la mezzo-soprano canadienne. Incarner la Reine de Sparte nécessite une chanteuse capable de dominer, sans l’écraser, le reste du plateau, par la présence et la voix; le format vocal de la chanteuse demeure limité en termes de couleurs et de puissance. Il s’agit de la seule faiblesse de cette distribution, par ailleurs, pertinente et bien calibrée.
Talentueux comédien, Philippe Talbot incarne un Pâris quasiment idéal, par la nature lumineuse et svelte de sa voix, ainsi que par la justesse de l’expression, qualités que partage également Eric Huchet. Ce dernier livre une interprétation savoureuse de Ménélas, qui atteste d’une expérience longue et probante dans le répertoire offenbachien. Franck Leguérinel excelle lui aussi en Agamemnon, le tempérament comique n’excluant pas la rigueur stylistique. Boris Grappe, distribué en Calchas, et plus encore Yete Queiroz complètent parfaitement le plateau pour les rôles les plus exposés, cette dernière se démarquant en Oreste par la beauté du timbre et la tenue vocale. La maîtrise et l’habilité de la jeune mezzo-soprano incitent à retenir son nom – très bon Achille de Raphaël Brémard qui possède manifestement le bagage nécessaire pour devenir incontournable dans ce répertoire. Il faudrait, pour conclure, confier des rôles plus consistants que Bacchis à Sarah Defrise, qui joue l’idiote, tandis que Léonie Renaud et Elisabeth Gillming exposent leur superbe plastique, enrobée dans des tenues aguicheuses sans lesquelles leur personnage passerait probablement inaperçu.
La prestation de l’orchestre suscite quelques menues réserves. Les cordes sonnent trop sèchement et manquent un peu d’éclat, tandis que les bois se fondent trop anonymement parmi celles-ci, mais la direction scrupuleuse de Laurent Campellone se soucie de clarté et d’équilibre, ce qui assure la légèreté et la vitalité de cette musique irrésistible. Merion Powell, quant à elle, a bien préparé le chœur, qui remplit plus que correctement sa fonction.
Le site de l’Opéra national de Lorraine
Sébastien Foucart
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