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Extravagances et traditions Vienna Konzerthaus 12/05/2018 - et 6* décembre 2018 Ludwig van Beethoven: Concerto pour piano n° 5 «L’Empereur», opus 73
Wolfgang Amadeus Mozart : Sérénade n° 9 «Posthorn», K. 320 Fazil Say (piano)
Camerata Salzburg, Gregory Hass (Konzertmeister)
F. Say (© Marco Borggreve)
Le contraste entre une première partie de programme marquée par les extravagances de Fazil Say, et une seconde partie largement plus traditionnelle démontre la remarquable capacité d’adaptation de la Camerata de Salzbourg. C’est en l’absence de chef d’orchestre, mais avec un Konzertmeister (Gregory Hass) très actif, alternant suivant les exigences de la partition les positions assise et debout, que débute le Cinquième Concerto de Beethoven: le pianiste turc catapulte à tout va les séries d’arpèges, qui, dans l’acoustique de la grande salle du Konzerthaus, perdent malencontreusement un peu en intelligibilité. Les traits de virtuosité de Fazil Say ne sont en revanche jamais vains, car parsemés de trouvailles rythmiques, de nuances, qui ouvrent de nouvelles perspectives auditives. Les musiciens de l’orchestre jouent à fond le jeu et parviennent à introduire dans l’accompagnement un grand éventail de couleurs. Bien que la courte cadence du premier mouvement soit entièrement écrite, ôtant ainsi à Fazil Say la possibilité d’y insérer sa propre musique, le pianiste parvient à la personnaliser de manière radicale, nous surprenant par l’introduction d’éléments de suspense inattendus. L’Adagio un poco mosso qui suit est pris quasiment à une battue par mesure, mettant ainsi en évidence le foisonnement de contrechants orchestraux qui viennent s’entremêler à la ligne du soliste. Le dernier mouvement souffre initialement d’un trop plein d’enthousiasme, la célérité gommant les effets syncopés du thème du rondo. On retrouve progressivement un équilibre satisfaisant, qui culmine dans une coda furieuse et absolument convaincante. En somme, la lecture de ce Concerto «L’Empereur» offre une combinaison étrange d’effets appuyés et de raffinements quasi chambristes, fourmillant de détails et d’inventivité, l’intelligence musicale de Fazil Say lui permettant (presque) toujours de justifier ses excentricités, et de se faire pardonner quelques brusqueries et approximations.
Dans la Sérénade «Cor de postillon» de Mozart, nous retrouvons la richesse interprétative de la Camerata, dont la profusion d’accents et de dynamiques recherchées rendent pleinement justice à la dimension solennelle sous-jacente de l’œuvre – la plaisanterie étudiante reste cependant toujours à portée d’archet, et ressurgit sans crier gare au détour des phrasés. Ce mélange de grâce et de badinerie est manié avec maestria par l’ensemble salzbourgeois: les vents impriment au premier menuet une allure pastorale; le second menuet donne quant à lui une véritable leçon de danse – et propose un postier plus vrai que nature, costume, casquette et lettre de poste compris; l’Andantino revêt une atmosphère fiévreuse et le Presto final met littéralement le feu avec des relances fulgurantes circulant d’un pupitre à l’autre. Il suffisait de constater la réaction du public, interrompant à l’occasion l’enchaînement des mouvements par ses applaudissements – des réactions d’ailleurs encouragées avec humour par le Konzertmeister – pour confirmer que le courant passait avec fluidité entre les Salzbourgeois et les Viennois.
Dimitri Finker
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