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Vingt ans après... Paris Philharmonie 12/03/2018 - et 15 (Martigny), 18 (Luxembourg), 20 (Bruxelles), 23 (Amsterdam) novembre, 5 (Köln), 7 (Dortmund), 10 (Hamburg), 12 (Bremen) décembre 2018, 10 (München), 13 (Wien) mai 2019 Antonio Vivaldi : Le quatro staggioni: Concertos en mi majeur «La primavera», RV 269, opus 8 n° 1, en sol mineur «L’estate», RV 315, opus 8 n° 2, en fa majeur «L’autunno», RV 293, opus 8 n° 3, et en fa mineur «L’inverno», RV 297, opus 8 n° 4 – La Silvia, RV 734: «Quell’augellin» – Tito Manlio, RV 738: «Non ti lusinghi la crudeltade» – Ottone in villa, RV 729: «Gelosia, tu già rendi» – Il Giustino, RV 717: «Vedrò con mio diletto» – Orlando furioso, RV 728: «Sol da te mio dolce amore» & «Ah fuggi rapido» – Argippo, RV 697: «Se lento ancora il fulmine» – Ercole sul Termodonte, RV 710: «Zeffiretti che sussurrate» – Farnace, RV 711: «Gelido in ogni vena» – Catone in Utica, RV 725: «Se mai senti spirar sul volto» Cecilia Bartoli (mezzo-soprano), Andrés Gabetta (violon)
Les Musiciens du Prince - Monaco, Gianluca Capuano (direction)
C. Bartoli (© Uli Weber/Decca)
Vingt ans après...: Alexandre Dumas n’aurait sans doute pas totalement désapprouvé la reprise de ce titre tant certains parallèles sont éloquents. Souvenez-vous! En juillet 1999, Cecilia Bartoli enregistrait plusieurs extraits d’opéras de Vivaldi avec Il Giardino Armonico dans un «Vivaldi album» édité chez Decca: succès historique avec plusieurs centaines de milliers d’exemplaires vendus, où l’on découvrait les noms d’opéras aussi méconnus que Teuzzone, Il Giustino ou Dorilla in Tempe. Ce disque distillait alors une fougue et une explosion de couleurs propres à faire découvrir une autre facette du Prêtre roux, facilement cantonné par certains à n’être que l’auteur de concertos pour violon ou flûte.
Aujourd’hui, à la faveur de la parution d’un nouveau disque entièrement consacré à Vivaldi (toujours chez Decca mais cette fois-ci avec l’Ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi), Cecilia Bartoli renoue avec le compositeur italien mais d’une façon différente, comme en témoignèrent les extraits chantés ce soir. Délaissant souvent les pyrotechnies vocales (sans que celles-ci aient pour autant été absentes) au profit de chants davantage tournés vers le murmure, la gravité, la lenteur, elle nous aura totalement émerveillé. Après un début de concert presqu’angoissant – quand un employé de la Philharmonie vint sur scène avec un micro pour annoncer... non que la chanteuse fût souffrante, ouf, mais qu’elle dédicacerait son disque en fin de concert et qu’il était demandé de n’applaudir qu’à la fin de chacune des deux parties du concert et non après chaque numéro –, on aura été plongé dans un univers extrêmement original. En effet, les passages chantés alternèrent dans une alliance très naturelle avec divers mouvements des Quatre Saisons qui, en fin de compte, auront été jouées dans leur intégralité, quelques transitions étant assurées par les deux clavecinistes, Luca Quitavalle et, quand il ne dirigeait pas, le chef Gianluca Capuano.
Le dialogue entre la voix de la mezzo et les instruments solistes (divine flûte tenue par Jean-Marc Goujon, notamment dans le premier air «Quell’augellin» tiré de La Silvia, extraordinaire hautbois joué ce soir par Pier Luigi Fabretti, s’illustrant en particulier dans l’air «Non ti lusinghi la crudeltade», issu de Tito Manlio, ou la trompette virtuose de Thibaud Robinne dans l’un des bis, on y reviendra) est idéal. Non seulement pour la capacité des uns et des autres de se fondre dans le climat instauré par la chanteuse ou le musicien (selon celui qui a débuté) mais par l’alchimie totale entre les couleurs et les timbres. Les jeux d’échanges entre Cecilia Bartoli et la flûte dans l’air précité, imitant les gazouillements des oiseaux, ou l’attention apportée à l’espace de la scène (entièrement utilisée par la cantatrice qui, à l’occasion, n’hésitait pas à chanter à l’attention de chacun des quatre côtés de la salle, passant devant, derrière et même parmi les musiciens) notamment dans l’air «Zeffiretti che sussurrante» (Ercole sul Termodonte) où intervinrent flûte et violon solos, firent véritablement merveille.
Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est (vingt ans après donc...) la maturité gagnée par Cecilia Bartoli. Outre encore une fois un choix des extraits où la virtuosité n’était pas mise en avant, on aura apprécié à chaque seconde ce medium profond, ce souffle (exceptionnel «Vedrò con mio diletto» tiré d’Il Giustino, air confondant de beauté où l’accompagnement minimaliste des cordes permettait juste de soutenir des pianissimi d’une finesse qu’on croyait ne jamais pouvoir entendre en concert), cette attention portée aux mots (le léger allongement des syllabes dans le célèbre air «Sol da te mio dolce amore», issu d’Orlando furioso, permettant de traduire la chaleur de l’amoureuse transie, la voix devenant tout à coup plus chaude, accompagnée par le toujours aussi surnaturel Jean-Marc Goujon) et aux airs emplis de retenue où seule transparaît l’émotion distillée par la chanteuse (ah! ce «Gelido in ogni vena» tiré de Farnace!). La facilité est désarmante, Cecilia Bartoli regagnant le fauteuil placé sur la droite de la scène après chaque air, laissant ensuite la place à Andrés Gabetta, excellent violoniste, qui nous livra des Quatre Saisons parfois un rien affectées (l’Allegro concluant Le Printemps) mais généralement caractérisées par une énergie et une implication communicatives parfaitement rendues par le jeu de l’orchestre des Musiciens du Prince - Monaco dirigé de manière un peu raide par Gianluca Capuano.
Le petit orchestre monégasque, digne héritier des ensembles encouragés par le mécénat des princes de Monaco (rappelons l’amour fou qu’éprouvait le prince Honoré II au XVIIe siècle pour l’opéra ou l’amitié qui liait Antoine Ier, son petit-fils, avec un certain Jean-Baptiste Lully), composé d’une vingtaine de musiciens venus de toute l’Europe (quel plaisir de retrouver notamment au premier rang le génial violoncelliste Robin Michael, premier violoncelle de l’Orchestre révolutionnaire et romantique de John Eliot Gardiner!), est excellent et participe pleinement, au-delà de ses solistes déjà cités, à la réussite d’un concert enthousiasmant de plus de deux heures.
Car, que serait un concert de Cecilia Bartoli sans une certaine dose de «show Bartoli»? On le sait tous: on vient pour elle, on l’adule, on crie en applaudissant, on trépigne pour faire encore plus de bruit au moment des saluts. Bref, viva Cecilia! Et donc, après deux heures de concert «classique» (avec entracte tout de même), le public enflammé de la Philharmonie eut droit à pas moins de six bis soit presque trois quarts d’heure de musique supplémentaires! Passant de Vivaldi de nouveau (l’air bien connu «Sventurata navicella» tiré de Giustino chanté avec un humour formidable par Cecilia Bartoli, qui s’accompagna pour l’occasion d’un petit tambourin) à Händel (l’air virtuose «Desterò dall’ empia dite» chanté par Melissa au deuxième acte d’Amadigi di Gaula, où la voix s’entremêle avec une trompette et un hautbois solistes incroyables, et l’air, au contraire, plein de douceur «Felicissima quest’alma, ch’ama sol la liberta» tiré de la cantate Apollo e Dafne, accompagné cette fois-ci de la flûte toujours aussi parfaite de Jean-Marc Goujon) en passant par Mozart (célébrissime «Voi che sapete» tiré des Noces) et, retour au baroque, un formidable «A facile vittoria» issu de l’opéra d’Agostino Steffani Tassilone, qu’elle avait notamment enregistré dans son album «Mission». Formidable numéro de duettiste avec le trompettiste Thibaud Robinne qui, après avoir quelques instants versé dans «Summertime» de Gershwin (peut-être la seule légère fausse note de goût lors de ce concert...), aura conclu une soirée haute en couleur! Décidément, oui: Viva Cecilia !
Le site de Cecilia Bartoli
Sébastien Gauthier
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