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Démonstration en grand style

Baden-Baden
Festspielhaus
10/16/2018 -  
Nicolai Rimsky-Korsakov : La Légende de la Cité invisible de Kitège: Suite
Serguei Prokofiev: Concerto pour piano n° 2, opus 16
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Le Lac des cygnes, opus 20 (extraits)

Yefim Bronfman (piano)
Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Youri Temirkanov (direction)


(© Michael Gregonowits)


A Baden-Baden, le public du Festspielhaus est bien davantage habitué à écouter chaque année l’Orchestre du Mariinsky, que l’"autre" orchestre de Saint-Pétersbourg, prestigieuse phalange longtemps dirigée par Evgeny Mravinsky (celui dont Karajan disait modestement naguère: « C'est simple: il y a Mravinski et moi ») et à présent par son successeur Youri Termikanov, mine de rien installé à ce poste depuis trente ans. La comparaison entres les deux orchestres de la ville blanche est intéressante, tant leur individualité sonore paraît différente. Au Mariinsky une avantageuse rutilance, avec des cuivres tranchants qui viennent colorer une masse sonore parfaitement contrôlée mais pas toujours très lisible dans les lignes médianes. Au Philharmonique des couleurs nettement plus patinées, une véritable rondeur, une distinction somme toute aristocratique qui fait paraître parfois un peu clinquants les éclats de la formation rivale. Ici on a l’impression de changer d’univers, avec une individualité certes russe (par le ton assuré, l’idiomatisme de l’approche, un certain sens de la démonstration) mais qui peut aussi rivaliser de plain-pied avec des formations internationales dotées du même type d’héritage à forte connotation historique (Amsterdam, Vienne...). Atteindre ce degré d’excellence a toujours été l’ambition de Valéry Gergiev avec « son » orchestre du Mariinsky, mais sans jamais y parvenir tout à fait. Alors qu’ici, de bout en bout, ce concert ne condescendra jamais à descendre en dessous d’un niveau de très haute volée.


Concert carte de visite au demeurant, entièrement composé de partitions russes où l’orchestre évolue dans son élément le plus immédiatement confortable. Une aisance tellement patente que le chef, haute silhouette mince couronnée de cheveux blancs, semble au début presque en mesure de s’abstenir de diriger. En d’autres termes Temirkanov arrive, les archets se lèvent et la première attaque se pose comme par miracle, alors que presque rien dans l’allure générale du chef n’a bougé. Le résultat sans doute d’une fréquentation d’une durabilité exceptionnelle, certainement pas sans crises (les premières années de règne ont été difficiles, moins sur le plan artistique que social, quand il fallait que les orchestres ex-soviétiques jugulent tant bien que mal un inexorable exode de leurs talents vers l’étranger) mais qui favorise aujourd’hui une complicité de tous les instants. Inutile de préciser que dans les intermèdes symphoniques de Kitège de Rimsky-Korsakov, tout fonctionne à la perfection, en dépit d’un effectif pléthorique. Une belle occasion d’apprécier à sa juste valeur cette écriture orchestrale très russe mais aussi fortement hybride (à certains moments les « Murmures de la forêt » de Siegfried ne sont vraiment pas loin). Quant aux extraits symphoniques du Lac des cygnes, ils nous déroulent un tapis ininterrompu de friandises orchestrales, interprétées avec un panache extraordinaire. Tout cela n’est pas toujours d’un poids musical conséquent (la sélection fait la part belle aux musiques de l’acte III, qui sont plutôt du domaine de l’accompagnement chorégraphique fonctionnel que de la grande musique inoubliable : « Danse hongroise », « Danse espagnole », « Danse napolitaine », « Mazurka »...) mais quelle performance d’orchestre ! Et puis aussi, et cela compte encore davantage aujourd’hui où l’on peut voir vraiment de tout sur les podiums, y compris des gestiques monstrueusement laides, quelle admirable sobriété efficace de la part du chef !


Pour le Deuxième Concerto pour piano de Prokofiev, on retrouve le pianiste américain Yefim Bronfman, qui continue à maîtriser cette partition virtuose avec une aisance confondante, même si ses doigts paraissent avoir perdu de leur vigueur de naguère. La cadence du premier mouvement n’a plus la même grandeur cataclysmique, mais elle a gagné en étagement des plans, en timbres gras cherchés au fond du clavier. Ce Prokofiev aux couleurs moins barbares, voire qui semble rentrer dans le rang d’une certaine tradition post-romantique, s’avère parfaitement compatible avec un accompagnement qui privilégie lui aussi l’ampleur et la beauté du son au simple tranchant des attaques. Ailleurs on soulignerait peut-être à tort le manque apparent d’idiomatisme de l’approche, mais ici, avec la caution d’un orchestre indiscutablement russe, difficile de ne pas rendre les armes.


En bis, Yefim Bronfman offre un « Clair de lune » de Debussy assurément magique puisqu’il parvient même à suspendre pendant cinq minutes les rafales de toux dont le public du Festspielhaus est couramment prodigue. Quant au bis d’orchestre final... Russe? Pas du tout ! Il s’agissait de Salut d’amour de Sir Edward Elgar, dans une exquise version pour orchestre. Un bis que Temirkanov a toujours affectionné.



Laurent Barthel

 

 

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