About us / Contact

The Classical Music Network

München

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

De l’injouable à l’expressif

München
Nationaltheater
10/14/2018 -  et 15*, 16 (Munich), 17 (Lugano) octobre 2018
Arnold Schoenberg : Concerto pour violon, opus 36
Johannes Brahms : Symphonie n° 2, opus 73

Patricia Kopatchinskaja (violon)
Bayerisches Staatsorchester, Kirill Petrenko (direction)


P. Kopatchinskaja, K. Petrenko (© Wilfried Hösl)


Le lecteur me permettra d’évoquer un souvenir personnel. Si le Concerto pour violon de Schoenberg reste une rareté au concert, c’est cependant la première pièce de ce compositeur que j’ai entendue... en 1977, lors d’une soirée où Pierre Boulez avait donné la création française de son Rituel. De façon inhabituelle, tout du moins à cette époque, Boulez avait démarré le concert s’adressant au public pour expliquer que la grande difficulté de ce concerto n’avait pas permis de répéter la Musique pour un film imaginaire de Schoenberg et que celle-ci ne serait donc pas jouée. Je me souviens également de Pierre Amoyal, soliste de ce concerto, en train de souffrir et de se bagarrer devant les deux cadences des premiers et troisièmes mouvements tandis que Boulez lui tournait les pages de la partition avec autorité et calme. A l’époque, je me souviens d’avoir été impressionné peut-être plus par la perception du risque que représentait le fait de jouer une telle œuvre que par la musique.


Les époques ont cependant changé. A sa première exécution, le Concerto pour violon de Tchaïkovski avait été jugé injouable et Beethoven aurait eu droit à des commentaires équivalents pour son Quatuor opus 135. Ce sont les générations suivantes de musiciens qui se les sont appropriés.


C’est le même phénomène avec Patricia Kopatchinskaja, qui a non seulement une technique de premier plan pour maîtriser l’œuvre mais surtout une intimité avec la musique de son temps. Contrairement à un Pierre Amoyal qui devait fournir un effort technique et stylistique pour explorer un univers nouveau, elle est ici dans son univers. Sous ses doigts, ce concerto est certes d’une exigence redoutable mais c’est une occasion de faire ressortir l’expression de chacune des aspérités recherchées par Schoenberg.


Elle n’est pas sans rappeler au violon ce que fait une Barbara Hannigan, autre pionnière de la musique contemporaine. Ces deux immenses artistes habitent chaque phrase pour en faire ressortir le caractère, un peu comme le font les musiciens du baroque lorsqu’ils cherchent à théâtraliser les pièces. Nous ne sommes plus devant des sommets instrumentalement abstraits et redoutables mais devant des pièces à l’expression forte. Nous sommes quasiment à l’opéra.


Au pupitre, Kirill Petrenko est un partenaire attentif qui apporte un soin particulier aux équilibres. Patricia Kopatchinskaja n’a pas une sonorité «grasse» classique de virtuose du violon mais elle a une palette de nuances très variée entre le piano et le pianissimo que Petrenko, en grand chef de théâtre, respecte avec soin. Le début du concerto, «murmuré» par Kopatchinskaja, est plein de mystère.


Très applaudie par les musiciens eux-mêmes et par un public attentif à qui Schoenberg ne fait plus peur, Patricia Kopatchinskaja nous donne deux bis pleins d’énergie et de vitalité avec deux solistes de l’orchestre: Emanuel Graf dans la «Valse bavaroise», huitième pièce du second volume des Vingt-quatre Duos pour violon et violoncelle de Jörg Widmann, puis Andreas Schablas dans «Jeu», troisième pièce de la Suite pour clarinette, violon et piano de Darius Milhaud.


La Deuxième Symphonie de Brahms est une œuvre bien plus classique. Petrenko cherche une sonorité claire et aérée. Le niveau global est, comme on devrait s’y attendre, de grande qualité même si certains passages du premier mouvement (Allegro non troppo) sont un peu en dessous de ce que l’on pourrait attendre, certains changements de tempo étant un peu trop visibles et certains tutti un peu déséquilibrés. Peut-être que comme Boulez en 1977, une bonne partie des répétitions a dû être consacrée au Schoenberg. L’Adagio permet cependant d’apprécier la chaleur et le cantabile du pupitre des violoncelles tandis que le finale est plein de saveur et de brillant. C’est cependant le troisième mouvement (Allegretto grazioso) qui est le sommet de cette exécution. Les phrasés dansants «tziganes» que trouve le chef sont pleins d’imagination et d’originalité.


Voici en fin de compte, s’il le fallait encore, une confirmation que le talent de Kirill Petrenko ne se confine pas au seul théâtre. Le public munichois et les musiciens en ont amplement conscience et ne savent que trop bien que sa présence est comptée dans ces lieux. Le prochain concert qu’il donnera à Munich en février sera quant à lui consacré à Beethoven, avec la Missa solemnis.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com