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Modernités d’hier et d’aujourd’hui

Strasbourg
Palais de la musique et des congrès
10/04/2018 -  et 5 octobre 2018
György Ligeti : San Francisco Polyphony
Ondrej Adámek : « Follow me », Concerto pour violon et orchestre
Igor Stravinsky : Le Sacre du printemps

Isabelle Faust (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


O. Adámek


Ce premier concert d’abonnement de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg est aussi l’un des points forts du Festival Musica, d’où le caractère soigneusement étudié du programme, compatible avec l’un et l’autre des deux cahiers des charges. Début avec San Francisco Polyphony de György Ligeti, dans un langage orchestral qui porte ses bientôt cinquante années d’âge déjà, puisqu’il s’agit d’une commande de l’Orchestre symphonique de San Francisco, créée en 1975 par Seiji Ozawa. Avec le recul, certainement une pièce moins inspirée qu’Atmosphères ou Lontano, mais qui complète utilement le corpus réduit des œuvres symphoniques de Ligeti, sans rien y rajouter toutefois d’essentiel. On y surprend même le compositeur à s’adonner à quelques patterns répétitifs à la Terry Riley, dont l’aspect très « West Coast », même de circonstance, paraît franchement étranger à l’esthétique générale. De surcroît, la restitution qu’effectuent Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg laisse un peu sur sa faim. On n’est pas assez saisi au début par l’irruption d’un tutti orchestral en apparence totalement désorganisé, ni ensuite par la dramaturgie de la pièce. En particulier, à la fin le lent crescendo, effet en principe relativement puissant mais qu’il faut constamment alimenter, doser, soutenir, déçoit. Mais peut-être est-ce aussi l’effet d’une comparaison entre une exécution sur le vif et des interprétations orchestrales enregistrées, toutes flattées et rééquilibrées a posteriori. On notera aussi qu’après San Francisco Polyphony, Ligeti n’écrira plus une note pour l’orchestre seul, pensant vraisemblablement qu’il n’aurait plus rien de novateur à proposer ensuite pour ce type de formation.


Une exigence qui ne semble pas encore effleurer le jeune compositeur tchèque Ondrej Adámek, du haut de ses 39 ans. Son Concerto pour violon « Follow me », donné en création française, n’hésite pas à délayer son inspiration sur 25 minutes de durée, alors qu’il n’a qu’une dizaine d’idées à y investir en tout et pour tout. Isabelle Faust, dédicataire de l’œuvre, attaque seule : trémolo forte, suivi d’un glissando ascendant sur le même intervalle de tierce, comme un écho. Un nombre copieux de répétitions de la chose plus tard, l’autre moitié du thème émerge : même soigneusement déguisée sous les bavures d’archet, une polarisation tonale s’affirme de façon relativement insistante et on ne va plus guère s’en échapper pendant tout le premier mouvement, 10 minutes de promenade d’ostinato en trémolo, le plus souvent sur les mêmes intervalles. Rallentando progressif, avant ce qui ressemble enfin à un vrai thème lyrique pour la soliste, plus chromatique cette fois. Quelques sons fantômes à la Sciarrino (mais sans le génie de ce dernier) et on passe à une seconde partie élégiaque, à la pâte orchestrale ductile. Agréable mélodie pour le violon, suivie d’une marche d’harmonie qui débouche sur ce qui ressemble vraiment à un thème de Bach. Pseudo-Bach? Vraie citation? Lent glissando d’orchestre ensuite, geste totalement éculé aujourd’hui, à nouveau un peu de Sciarrino pour marquer la transition, et nous voilà partis dans un troisième mouvement assez poussif, où le compositeur continue à nous développer son argument sociétal. Car il y a aussi dans ce concerto des péripéties dramatiques, qui se nouent entre la soliste et l’orchestre : un rapport de force tente de s’installer entre l’un et l’autre, avant finalement d’achopper, avec pour sanction le lent départ mélancolique de la violoniste vers les coulisses (toujours sur le même petit thème, entendu de plus en plus loin...), ce qui laisse l’orchestre triompher seul, en une sorte de danse tribale joyeusement pataude. Ce pourrait être une façon intéressante, effectivement, de théâtraliser le propos, mais le résultat nous évoque davantage l’humour cartoonesque des Shadoks. Certains se souviennent encore, on l’espère, de ces réjouissantes créatures dessinées qui inlassablement pompaient, pompaient... un peu comme ici les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.


Le pire est qu’en définitive ce gentil concerto a aussi ses aspects sympathiques et qu’on passe même un assez bon moment à l’écouter, car sa construction, aussi naïve soit-elle, s’affirme bien voire évite l’ennui. Et puis le charisme d’Isabelle Faust parvient à faire passer, même là, quelque chose de son attachante personnalité musicale. Cela suffira-t-il toutefois pour que l’ouvrage survive aux trois créations prévues par la soliste avec les institutions commanditaires de l’œuvre : Festival Musica aujourd’hui, Radio bavaroise l’hiver dernier et Philharmonie d’Helsinki en 2019 ? Il est permis d’en douter, même dans un paysage contemporain où le répertoire concertant pour violon reste d’une insigne pauvreté. Certes Dutilleux, Lutoslawski, Phil Glass (ne pas l’oublier) sont passés par là, mais après ?


En seconde partie, Le Sacre du printemps appartient somme toute au répertoire courant de l’orchestre aujourd’hui, ce qui peut paraître étonnant s’agissant d’une œuvre aussi délicate à mettre en place. Mais un siècle a passé depuis la création houleuse de ce chef-d’œuvre et il est possible à une bonne formation de la jouer sans avoir forcément beaucoup et minutieusement répété auparavant. Cela dit, on est quand même impressionné par la grande sécurité apparente de ce qu’offre l’Orchestre philharmonique de Strasbourg au cours de cette belle exécution. Que ce soit dans les soli, tous excellents, à commencer par le dangereux solo de basson initial, que Rafael Angster, jeune recrue encore, parvient à faire ressortir avec beaucoup d’aplomb, ou dans des tutti qui ne vacillent jamais. La battue de Marko Letonja, pas toujours très lisible à nos yeux de profane qui y cherchent parfois vainement les signaux sémaphoriques attendus dans certains passages difficiles, semble en tout cas gérer parfaitement l’intendance, voire obtenir au mieux le résultat qui paraît désiré : une exécution très charpentée, bien assise sur des graves puissants, avec d’intéressantes recherches de couleurs instrumentales. Le revers de ce somptueux parcours d’orchestre étant peut-être qu’il ne souligne pas assez les aspérités rythmiques de l’ouvrage, son caractère constamment anguleux, en déséquilibre, bref sa modernité tranchante. Le Sacre redevient ici le dernier élément d’une trilogie essentiellement russe, après L’Oiseau de feu et Pétrouchka, au détriment d’une modernité analytique qu’on a ressentie de façon plus cinglante ailleurs. L’option n’est pas moins respectable, à sa façon, que les épures bouléziennes, le problème étant peut-être qu’aujourd’hui nous nous sommes trop habitués à ces dernières pour ne pas ressentir de petites frustrations quand le Sacre tourne à de la musique un peu trop sociable.



Laurent Barthel

 

 

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