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Une Flûte selon Castellucci

Bruxelles
La Monnaie
09/18/2018 -  et 20, 21, 23, 25, 26, 27, 28, 30* septembre, 2, 3, 4 octobre 2018
Wolfgang Amadeus Mozart: Die Zauberflöte, K. 620
Gábor Bretz*/Tijl Faveyts (Sarastro), Ed Lyon*/Reinoud Van Mechelen (Tamino), Dietrich Henschel (Sprecher), Sabine Devieilhe*/Jodie Devos (Königin der Nacht), Sophie Karthaüser*/Ilse Eerens (Pamina), Tineke Van Ingelgem (Erste Dame), Angélique Noldus (Zweite Dame), Esther Kuiper (Dritte Dame), Georg Nigl (Papageno), Elena Galitskaya (Papagena), Elmar Gilbertsson (Monostatos), Guillaume Antoine (Erster Priester, Zweiter geharnischter Mann), Yves Saelens (Zweiter Priester, Erster geharnischter Mann), Axel Basyurt/Sofia Royo Csoka*, Alejandro Enriquez/Tobias Van Haeperen*, Elfie Salauddin Crémer*/Aya Tanaka (Knaben)
Académie des Chœurs, Chœurs d’enfants et de jeunes et Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Antonello Manacorda/Ben Glassberg* (direction)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, costumes, lumières), Cindy Van Acker (chorégraphie)


Acte I (© Bernd Uhlig/De Munt La Monnaie)


2011 : pour sa première mise en scène à la Monnaie, Romeo Castellucci a conçu un Parsifal d’anthologie impliquant de nombreux figurants, des hommes et des femmes tout-le-monde qui n’oublieront pas cette expérience de sitôt. 2014 : retour à Bruxelles pour un émouvant Orphée et Eurydice qui montrait en temps réel une jeune femme atteinte du syndrome d’enfermement suite à un accident cérébral. 2018 : Castellucci remet La Flûte enchantée (1791) en question pour un résultat une fois de plus extrêmement original et déconcertant.


Le metteur en scène oppose radicalement les deux actes, par leur esthétique et leur théâtralité. Dans le premier, il supprime les dialogues de Schikaneder, ce qui aboutit à une froide succession de numéros musicaux, dans un décor blanc d’apparence rococo – mélange de grotte et de palais, avec de somptueux costumes évoquant le siècle de Mozart. Le plateau est parfaitement divisé en deux, dans un saisissant effet de symétrie. Plus courte que d’habitude, cette première partie suscite l’admiration pour son inventivité et la perfection de sa mise en place, mais elle provoque aussi à la longue de la lassitude, à cause de la lenteur et de l’artificialité des mouvements circulaires en miroir – une architecture algorithmique (sic) mise au point par Michael Hansmeyer. Stupéfiante, et véritable tour de force, la scénographie tend à supplanter la musique qui exerce ici une fonction avant tout décorative.


L’audace monte encore d’un cran dans la seconde partie, qui se passe dans un sinistre décor beige. Romeo Castellucci substitue les dialogues originaux par un nouveau texte abscons et un peu parasite de sa sœur, Claudia. Celui-ci défile sur un écran, déjà avant que la musique ne débute, prologue imposé, voire subi, durant lequel trois femmes tirent – pour de vrai – leur lait, reversé dans un tube porté par la Reine de la Nuit, le personnage central du concept, la Mère nourricière. Il faut donc ouvrir grand son esprit et chauffer ses méninges pour saisir l’intention du metteur en scène qui incorpore ensuite dix comédiens amateurs, cinq femmes – vraiment – aveugles (l’ombre) et cinq hommes – réellement – brûlés (le feu, donc la lumière). Chacun témoigne, en anglais, de son expérience et de l’épreuve qu’il a subie, ce qui met à mal la patience de certains dans la salle – un spectateur, agacé, prononce tout haut le mot «arnaque». Castellucci trouverait le moyen de recruter des amputés et des paraplégiques pour La Femme sans ombre.



Acte II (© Bernd Uhlig/De Munt La Monnaie)


Cette mise en scène pour le moins dérangeante mais vraiment digne d’intérêt ne retient donc que certains éléments de La Flûte enchantée en niant la nature même du singspiel. Les passages humoristiques, en particulier avec Papageno, s’intègrent du coup avec peu de naturel, compte tenu de la gravité de l’intention et de la réflexion de Castellucci. Beaucoup estimeront probablement que ce dernier trahit outrageusement le compositeur et son librettiste, mais il faut reconnaître que cette conception tout à la fois fascinante et détestable ne manque ni de profondeur, ni de cohérence. Le metteur en scène respecte les fondements de ce chef-d’œuvre de manière bien plus subtile et honnête qu’il ne paraît de prime abord. Et puis, les spectateurs qui, excédés, quittent la salle durant la représentation ne manquent-ils pas, à leur tour, de respect envers les artistes, tous investis et professionnels ? De toute façon, cet opéra, qui se prête assez bien à ce genre d’expérimentation, connaît tant de mises en scène tièdes et traditionnelles de par le monde qu’une production hautement radicale ne lui porte que peu préjudice. Mais que Peter de Caluwe réfléchisse à deux fois plutôt qu’une avant de confier à Castellucci une rareté du répertoire longtemps attendue.


La distribution ne saurait constituer le seul motif pour se rendre – ou pas – à cette expérience inouïe, malgré le prestige attaché à certains noms. De nombreux personnages peinent à exister, notamment parce que pratiquement tous portent la même perruque et la même hideuse combinaison dans le second acte – le Sarastro tout juste marquant de Gábor Bretz, le Monostatos déjà oublié d’Elmar Gilbertsson, la Papagena totalement anecdotique d’Elena Galitskaya. Alors que Dietrich Henschel exploite fort peu son talent dans le rôle de l’Orateur, Ed Lyon trouve en Tamino un emploi à sa mesure, la finesse du timbre et la tenue du phrasé s’approchant de l’idéal.


Quasiment omniprésente, Sabine Devieilhe parcourt avec sa virtuosité et sa rigueur stylistique habituelles la périlleuse partie vocale de la Reine de la Nuit, mais l’exploit semble secondaire, et même incongru, dans cette proposition extrême. Sophie Karthaüser se démarque en Pamina par la richesse du timbre et le raffinement de la ligne, mais la soprano semble peu épanouie et convaincue par ce qu’elle doit accomplir. Georg Nigl expose tout son talent de comédien en Papageno, mais l’excellent baryton surinvestit son personnage et force le trait, ce qui provoque un décalage dans ce contexte. Tineke Van Ingelgem, Angélique Noldus et Esther Kuiper forment un trio de dames assez harmonieux, et il faut noter la contribution rafraîchissante de garçons et de filles sélectionnés dans les Chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie. Cette production laisse tout de même l’étrange impression d’avoir vu La Flûte enchantée plutôt que de l’avoir entendue, tellement la mise en scène de Castellucci accapare l’attention au détriment de la musique.


Antonello Manacorda se charge de la direction, mais Ben Glassberg le remplace ce dimanche, et pour quelques représentations : l’orchestre assure une prestation plus que convenable, parfois sèche, mais les bois réservent de belles interventions tandis que les cordes se montrent suffisamment acérées. Les choristes encombrent malheureusement souvent les scénographes, qui les dissimulent dans les coulisses, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous ne voyons pas comment la Monnaie pourrait à l’avenir être encore plus audacieuse avec une nouvelle production de La Flûte enchantée.


Le site de la Monnaie



Sébastien Foucart

 

 

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